Lors de notre dernier entretien fin 2013 à l’époque de la mini tournée de la réédition du premier album, tu me disais que tu ne savais pas trop ce que les Young Gods deviendraient. Plus de cinq ans après, sort un nouvel album. Que s’est-il passé entre les deux périodes ? Franz (chant, guitare) : Écoute, fin 2013 correspondait à la période où on a réembauché Cesare aux machines pour faire la tournée des deux premiers albums. On a un peu continué cette tournée en 2014 en y incluant des morceaux qui sont sortis après le départ de Cesare, des titres incontournables parus dans les années 90, pour voir s’il était à l’aise avec. À un moment donné, il a décidé qu’il voulait s’y remettre pour de bon, donc on a su qu’il nous fallait du neuf à ce moment-là. On s’est remis à la composition en 2015, année durant laquelle on nous a proposé une résidence dans un festival de jazz, ce qui est assez inhabituel pour nous. C’est un festival off avec plein de caveaux dans lesquels il se passe pas mal de choses expérimentales. Le caveau dans lequel on a pris part est le Hundred Blue Bottle Club, et chaque année ils invitent des artistes plutôt orientés rock, mais des fois jazz un peu barré, à rester pendant deux semaines et se produire sur cinq soirées, trois sets par soir. On s’est dit qu’on allait ramener chacun plein de nouvelles idées, les préparer un peu sans trop que ce soit finalisé, les expérimenter et les enregistrer sur scène chaque soir. On a réécouté ça, on les a analysés à la sortie de cette résidence et c’est donc de ces sessions qu’on a tiré ce qui nous semblait être les meilleures idées que tu retrouves sur le nouvel album. Tout ce processus nous a pris deux ans et demi, car pendant cette période, on a fait une petite aventure brésilienne avec Naçao Zumbi. Cesare (machines-sampler) : C’était pas une petite aventure, ça nous a quand même pris six mois, si ce n’est plus. Franz : Voilà, donc en gros, on a mis trois ans pour écrire et réaliser Data mirage tangram. Bernard (batterie) : Ce qui est très particulier avec cet album, c’est qu’il est né d’improvisations en public. Autant précédemment, ça nous était déjà arrivé de sortir des idées d’improvisations mais là c’était sur scène, donc il fallait que ça donne quelque chose même si rien n’était vraiment arrangé. Cela nous a mis dans une situation inédite, c’était un pari type « ça passe ou ça casse » mais on a essayé, comme ça, quelque chose qu’on avait jamais fait. Le résultat a été suffisamment riche pour qu’on décide d’en faire un album au final, en le retravaillant par la suite. Data mirage tangram marque le retour de Cesare sur un album. Est-ce que recomposer ensemble n’a pas été difficile ? Cesare, tu as sûrement dû apporter des sons et des idées inhabituelles pour les Youngs Gods ? Cesare : Je ne sais pas trop. On a fait ces 15 concerts durant cette résidence, et j’ai amené ce que je suis capable de faire, c’est à dire maîtriser un ordinateur et savoir comment l’utiliser dans une jam session en faisant autre chose que de mettre le plugin rhodes et jouer. Je pense avoir su exploiter toutes les possibilités de façon très naturelle, j’ai préparé une idée de comment arriver à cela et nous avons tous improvisé ensemble. Désolé, ma réponse est un peu bateau... Franz : Bon, ça faisait vingt ans qu’on n’avait pas fait de musique ensemble avec Cesare. En vingt ans, tu évolues, tes goûts musicaux aussi, les styles et la technologie aussi, des fois tu vas aller chercher un peu plus de groove, des choses plus basées sur l’électronique. Bernard aussi, tu as amené beaucoup d’idées. Bernard : Tout le monde a apporté quelque chose, on a vraiment tous bien bossé ! Franz : Exactement, c’était un gros laboratoire. J’ai repris la guitare, toi t’avais toutes les percussions à gérer, on avait le sampler, etc... Des fois, on avait juste une boucle ou deux, d’autres moments c’était un morceau à moitié fait, et puis on essayait de voir comment arranger tout ça. Bernard : Ce qui est marrant, c’est qu’avec Cesare il y a eu un saut quantique, entre les deux premiers albums auxquels il a pris part et maintenant. Il n’a pas vécu toute l’évolution du groupe. La dernière fois qu’il était avec les Gods, il avait juste un petit sampler monophonique et aujourd’hui les possibilités sont quasiment infinies. Puis ses goûts ont aussi évolué, ses connaissances ont été approfondies, il avait d’autres envies, et on est partis de là, plutôt que de là où on en était en 1988. Ce qui est à noter sur ce nouvel album, c’est qu’il est assez downtempo et atmosphérique, voire trip-hop ambient par moments. On a plus ce côté rock-indus avec ces ruptures, mais les guitares sont pas mal mises en avant. Il y avait une ligne artistique définie pour ce disque ? Franz : La guitare était un choix personnel puisque je trouvais ça difficile d’improviser uniquement avec un micro et son pied pendant plusieurs jours pendant notre résidence. J’avais vraiment envie de parties instrumentales, d’avoir plusieurs possibilités. C’est vrai que sur cet album il y a plus de guitares mais ce sont des guitares jouées, ce qui n’était pas autant le cas dans les albums précédents. On en avait déjà sur Everybody knows, et sur ceux encore d’avant, c’était plus des incursions. Mais là oui, il y a beaucoup de guitare, d’ailleurs je l’ai en main pendant les deux-tiers du nouveau show, ce qui est très inhabituel chez nous. Pour te dire, on a même changé la configuration scénique, je ne suis plus au centre et devant comme avant, on forme désormais un triangle avec Cesare et moi 7 INTERVIEW |