BOBINES Louise Labèque et Wislanda Louimat depuis peu à l’aune du féminisme, comme Dangereuse alliance d’Andrew Fleming… En tournant certains plans, ça me faisait plutôt penser à du Steven Spielberg avec des enfants et des bougies. Mais j’aimais bien ce côté hybride du film, entre teen movie, conte raconté, anthropologie documentaire avec Boucheron, anthropologie fictionnelle avec la possession… J’espérais que le spectateur ne sache jamais trop où se trouver, qu’il se laisse porter. D’où vient cette envie de parler aussi de la construction de la féminité à l’adolescence ? Probablement du fait que j’ai une fille du même âge que les personnages du pensionnat. J’ai ça devant les yeux toute la journée. Ça me parlait. Je trouve que c’est une génération très particulière, je l’envie beaucoup à certains endroits. Ils ont explosé un certain nombre de barrières en matière de fluidité ; notamment dans la sexualité – on ne peut même pas dire s’ils sont bisexuels –, mais pas seulement. Et même s’ils ont d’autres difficultés, par exemple la peur économique, ces jeunes m’impressionnent. Les lycéennes écoutent beaucoup Damso, un rappeur très populaire, notamment chez les jeunes filles. Un truc de dingue, les actrices connaissaient tous ses textes par cœur ! En préparant le film, j’ai regardé la liste Deezer de ma fille : le dernier truc qu’elle avait écouté, c’était Damso. J’ai imaginé une scène où l’on voit les filles du pensionnat chanter un morceau de lui hyper misogyne, alors qu’au début du film l’une d’elles dit qu’elle le trouve sexy. Plus tard, une autre se demande si elle a le droit de l’écouter. Sa tante lui répond que oui, que ça ne change pas qui elle est. Damso traverse le film comme un symbole. Je pense que ça a à voir avec cette histoire de fluidité. INTERVIEW 44 Dans le pensionnat, la petite-fille du zombie haïtien se sent différente à cause de ses origines, mais elle est paradoxalement apaisée, car portée par les croyances de sa culture. L’autre héroïne est, elle, privilégiée – elle est blanche, aisée et née en France –, mais elle déchante quand elle perd la seule croyance qu’elle avait, celle en l’amour. C’est un prolongement du discours qui émanait de Nocturama sur la perte de repères de la jeunesse française actuelle ? L’histoire des Haïtiens est tellement forte que ça me semble permettre de structurer quelque chose. Je ne dis pas que l’histoire de la France n’est pas forte, mais elle est quand même plus compliquée. Sur Nocturama, ça ne s’est pas très bien passé à la sortie. On m’a beaucoup reproché d’avoir parlé d’un groupe hétérogène, mais est-ce qu’on ne retrouve pas cette hétérogénéité avec les « gilets jaunes », dont le mouvement a commencé deux ans après la sortie du film ? Dans Zombi Child, il y a une énorme angoisse sur la structure de la société : comment s’y insérer ? qu’y faire ? Mais j’ai confiance en la jeune génération. Car derrière la peur – qu’on leur donne, d’ailleurs –, il y a vachement d’intelligence. PROPOS RECUEILLIS PAR TIMÉ ZOPPÉ PHOTOGRAPHIE : JULIEN LIÉNARD — : « Zombi Child » de Bertrand Bonello, Ad Vitam (1 h 43), sortie le 12 juin — « Les choses résonnent, des portes s’ouvrent à partir de ce montage parallèle. » |