BOBINES de James Huth, son attrait pour le grotesque, son goût pour la difformité, comme le doigt de pied géant… Brice, au départ, c’est un mec qui attend une vague là où il n’y en a pas. C’est un personnage très romantique, en attente, un type vraiment seul. Comme Georges dans Le Daim. Au-delà du phénomène « j’t’ai cassé », il y a cette poésie qui me plaît énormément. Je sais que ce n’est pas très chic d’apprécier Brice, contrairement à OSS 117, mais j’ai beaucoup d’affection pour ce personnage. Pour moi, c’est le point de fuite de tous les personnages que j’aime jouer désormais, qui ont d’ailleurs souvent un lien avec l’enfance. Venant d’Un gars, une fille, j’ai beaucoup trop joué des situations réalistes autour des trentenaires, des relations hommes-femmes… le film Instagram en fait : « Je veux me voir dedans, parle-moi de moi. » Je n’ai plus du tout envie de ça, c’est trop convenu, ça m’ennuie. J’attends une atmosphère, une proposition, une émotion inattendues. Quand je fais Un homme à la hauteur [de Laurent Tirard, 2016,ndlr] j’accepte parce que je vais jouer un mec d’un mètre vingt. Et comment joue-t-on un mec d’un mètre vingt quand on est beaucoup plus grand ? C’est ça qui m’intéresse. Au-delà de ce qui vous fait rire, vous avez un autre point commun avec Quentin Dupieux : celui d’avoir eu une période américaine. Vous en avez parlé ensemble ? Il m’a dit : « J’ai voulu frimer. » C’est ça qui est bien avec lui, c’est qu’il dit tout. On est pareils : on a eu envie de vivre la carte postale, on est rentrés dedans. Maintenant, lui, il se rend compte qu’il est un mec de 40 balais qui a vu STYLE DE MALADE On avait laissé le cinéma de Quentin Dupieux enfermé dans le commissariat zinzin d’Au Poste ! On le retrouve au cœur des Pyrénées où débarque Georges (Jean Dujardin), quadragénaire perturbé par une rupture sentimentale. Après avoir investi tout son argent dans un blouson kitsch, il perd lentement pied. Encouragé par une barmaid locale (Adèle Haenel, très drôle), il s’improvise cinéaste, fièrement armé de son caméscope, pour mieux masquer une ambition plus trouble… Dupieux argue avoir signé là son premier film réaliste, proche du faits divers tragique. Alors qu’il rappelle Réalité (dans lequel Alain Chabat jouait un caméraman qui rêvait de réaliser un film d’horreur), Le Daim flirte encore plus avec l’effet de réel en empilant les silences inquiétants et les malaises palpables. Avec son épaisse barbe grisonnante, INTERVIEW 38 « Il n’y a rien de plus chiant que ceux qui surjouent la folie. » des films avec Belmondo. En revenant tourner en France, il renoue avec ses fondements. De mon côté, j’ai de très beaux souvenirs aux États-Unis, mais j’ai l’impression que c’est un peu un autre qui a vécu les Oscars, tout ça. Je m’en amuse, mais ça ne constitue absolument pas ma vie d’artiste. Jean-Pierre Marielle est décédé il y a quelques jours [l’entretien a été réalisé fin avril,ndlr]. Était-il une référence pour vous ? Évidemment. Marielle, c’était un instrument. Il imposait sa musique. Tout passait avec lui, il n’avait pas de frein. Lui aussi, il a pas mal joué les mecs seuls. Il y allait avec une générosité à crever de rire. C’était quelqu’un de courageux. PROPOS RECUEILLIS PAR QUENTIN GROSSET PHOTOGRAPHIE : JULIEN LIÉNARD — : « Le Daim » de Quentin Dupieux, Diaphana (1 h 17), sortie le 19 juin — Adèle Haenel l’excellent Dujardin ressemble d’ailleurs comme deux gouttes d’eau à Dupieux. Le réalisateur serait-il en train de nous avouer qu’il se reconnaît dans cette figure de cinéaste fou à lier et mystificateur ? DAMIEN LEBLANC |