OFF Centaures. Quand nous étions enfants de Fabrice Melquiot et Camille&Manolo chacun y va de son langage pour retracer les différentes étapes de la vie et célébrer la beauté éphémère de notre passage sur terre : la vitalité première de cette course effrénée d’une petite fille avec un poulain, les multiples voix qui nous agitent dans un chant femme-oiseau, ou encore le mystère de la mort qui, en hors-champ, rode au galop. Deuxième volet du diptyque commencé avec Là, le spectacle Falaise verra le jour cet été à Barcelone (le 28 juillet), avant d’entamer une tournée française. Signe des temps, cette nouvelle création se teinte d’une tonalité plus sombre. Sommes-nous revenus au temps des cavernes, ou catapultés après l’effondrement des civilisations capitalistes ? La question ne sera pas tranchée, mais dans ces ruines indifféremment passées ou futures s’inventent de nouvelles formes de vie où l’homme et l’animal construisent en harmonie. ANCRER L’UTOPIE Inventer d’autres alliances, croire encore et encore qu’un autre monde est possible, c’est aussi le rêve d’enfant de Manolo, fondateur avec Camille du Théâtre du Centaure. « À 6-7 ans, quand on me demandait ce que je voulais faire plus tard, je répondais : « Je voudrais construire un château avec des artistes et des chevaux. » » Cela fait trente ans qu’il remuscle l’imaginaire de textes théâtraux classiques (Les Bonnes de Jean Genet, Macbeth de William Shakespeare) ou se saisit de questions ultra SPECTACLES contemporaines (La 7 e vague, sur la finance internationale) en les interprétant sous l’identité hybride de centaures, moitié homme, moitié cheval. Lecteur de Michel Foucault comme des théories plus récentes sur la collapsologie (lire l’encadré ci-contre), Manolo est convaincu qu’aucune solution à la crise environnementale ne pourra être trouvée sans une renégociation des relations tissées entre les humains et les animaux. « Nous sommes la génération d’après la dernière séparation possible, celle de l’atome. Et cela nous a explosé au visage : Hiroshima, Tchernobyl, Fukushima. Nous devons repenser le monde par la réunion, la relation. Cela peut paraître stupide et naïf, cette idée d’être dans la nature uni à un grand tout, mais « je », pour moi, c’est presque une erreur linguistique. » Utopique, le Théâtre du Centaure est une réalité bien concrète pour Manolo et ses compères. Depuis quelques années, ils lui donnent vie dans le IX e arrondissement de Marseille, à un jet de pierre du parc national des Calanques, sur une terre qu’ils refusent de posséder, car comme l’eau et l’air elle fait partie des « communs ». Ils ont installé leurs roulottes et leur chapiteau de bois recyclé et sculpté, démontable en un clin d’œil, et y vivent ensemble, faisant le trait d’union entre la ville et la nature et s’entraînant quotidiennement, travaillant la relation, la confiance et surtout la « caresse » avec leur moitié cheval sans laquelle ils se sentent incomplets. Leur histoire sera contée par Fabrice Melquiot en juin au Centquatre. Il se murmure aussi que les Centaure apparaîtront peut-être quelque part dans Paris cet été, aux abords d’une gare pour un de leurs « surgissements », ces petites formes en espace public. Pour saisir cette micro-ZAD de l’imaginaire, rencontrer cet autre monde, il faudra se rendre attentif. AÏNHOA JEAN-CALMETTES — : « Centaures. Quand nous étions enfants » de Fabrice Melquiot et Camille&Manolo, du 4 au 8 juin au Centquatre — L’AUTRE LOI DE LA JUNGLE L’auteur latin Plaute nous avait prévenus : « L’homme est un loup pour l’homme. » D’où la nécessité pour les humains de s’organiser en communautés politiques. Dans un petit opus publié en 2017, Pablo Servigne et Gauthier Chapelle nous rappellent que ces poncifs cachent une réalité bien plus complexe. Surtout réputés pour leurs travaux sur la collapsologie – l’étude de l’effondrement (prétendument) prochain de la civilisation industrielle du fait des bouleversements environnementaux –, ils développent l’idée que l’entraide interespèces est omniprésente. En retraversant les découvertes biologiques étrangement passées sous silence dans l’histoire récente des idées, ils fournissent aussi un petit manuel d’espoir pour les temps troublés à venir. A. J.-C. : « L’Entraide. L’autre loi de la jungle » de Pablo Servigne et Gauthier Chapelle (Les liens qui libèrent, 224 p.) JEANNE ROUALET 88 |