Trois Couleurs n°167 fév/mar 2019
Trois Couleurs n°167 fév/mar 2019
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°167 de fév/mar 2019

  • Périodicité : mensuel

  • Editeur : MK2 Agency

  • Format : (170 x 285) mm

  • Nombre de pages : 120

  • Taille du fichier PDF : 15,2 Mo

  • Dans ce numéro : les éternels...

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

Dans ce numéro...
< Pages précédentes
Pages : 46 - 47  |  Aller à la page   OK
Pages suivantes >
46 47
INTERVIEW NOUVELLES TERRES L’Argentin Mariano Llinás a pris au mot l’expression « film-fleuve »  : La flor, tourné sur dix ans et découpé en six épisodes, dure presque quatorze heures et fait déborder la fiction. Comme seul fil de ce film composite, ludique et pas résumable, quatre actrices démentes (Elisa Carricajo, Valeria Correa, Pilar Gamboa et Laura Paredes) qui s’illustrent dans une multiplicité de registres (film d’espionnage, film musical, série B…). Une aventure haletante, motivée par le goût de la narration, dont nous parle un réalisateur même pas fatigué. Vous dites avoir réalisé La flor pour les quatre actrices principales. D’où viennent-elles ? Je les ai vues pour la première fois à Buenos Aires il y a quinze ans, tandis qu’elles jouaient une pièce intitulée Neblina. J’étais alors en train de réaliser mon premier film, Histoires extraordinaires, qui comme La flor tente de réfléchir à la manière dont la fiction peut être un véhicule d’intensité. Quand j’ai vu ces quatre filles, j’ai compris  : on pouvait aller là où la fiction ne va pas 46 d’habitude. Par la suite, elles m’ont proposé de faire un film sur la pièce. J’ai accepté, mais en disant  : « Plutôt que la pièce, on va faire tous les films ensemble. » La notion d’auteur me semble absurde  : La flor n’est pas « mon » film, c’est « notre » film. En préambule du film, vous vous adressez aux spectateurs et vous leur expliquez avoir voulu refaire, dans l’épisode 1, une série B comme à l’époque où les Américains savaient en tourner. Cette mélancolie d’un cinéma qui n’existe plus est-elle ce qui vous a mené à La flor ? Je pense que La flor veut prouver à tous – y compris à nous-mêmes – que cette idée du cinéma est encore possible. L’importance de
Pilar Gamboa, Elisa Carricajo, Laura Paredes et Valeria Correa dans l’épisode 6 ce média dans la vie des gens s’amenuise, et cela a un effet sur la manière de concevoir les films. Mais je crois quand même que La flor ne verse pas dans la nostalgie ; au contraire, c’est un objet qui se veut révolutionnaire, dans l’acception surréaliste du terme, c’est-à-dire au sens de « changer la vie ». On a tourné pendant plusieurs années, mais on n’a pas monté une seule image avant la fin du tournage. Je crois que le réalisateur d’un film doit être un rêveur et que le monteur doit être très strict, voire policier. Vu que la version finale du film dure presque quatorze heures, c’est le rêveur qui a gagné. Et c’est important, parce que nous sommes à une époque où la présence dans un film d’une momie maléfique qui s’empare de l’âme des vivants MARIANO LLINÁS [il s’agit de la trame du premier épisode,ndlr] est presque intolérable pour des spectateurs cultivés. Je considère cela comme une défaite pour la poésie. Il faut donc se battre. Plus on avance dans La flor, moins on cherche à reconnaître le genre du film qu’on regarde. C’est voulu ? Les genres ne sont pas une fin en soi ; ils sont un tour de magie, une ruse pour que le spectateur accepte la présence de vampires ou de batailles sans trop se poser de questions. Dans notre cas, l’attrait du genre a d’abord fonctionné comme un moyen pour que le spectateur prenne confiance. Quand viennent les derniers épisodes, il est déjà là depuis assez longtemps pour comprendre ce qu’il regarde ; du coup, on a la liberté de faire des choses plus étranges. Ce jeu sur les genres vous a forcément mené à faire varier votre mise en scène, mais qu’en est-il de la façon de diriger vos actrices ? Je dirais que, plus que les genres, c’est le temps long du tournage qui les a menées à modifier leur jeu. Au début, le travail avec les filles était extrêmement rigoureux. C’est de là que viennent ces violents changements d’état émotionnel et ces longs monologues de la première partie. Avec le temps, c’est devenu plus énigmatique  : je les ai à peine dirigées. Elles avaient habité le film assez longtemps pour que l’ancienne notion de « direction d’acteurs » devienne bizarre. Un projet d’une telle ampleur, tourné sur dix ans, a-t-il donné lieu à des tensions avec elles, qui le portent à bras-le-corps ? L’idée d’acteurs se disputant un rôle est typique du système cinématographique que nous détestons. Une chose que nous ne ferons jamais, c’est un casting. C’est là que l’on peut voir la perversité du cinéma industriel  : le réalisateur, comme s’il était un roi de l’antiquité, lève ou abaisse son SANS COMMUNE MESURE Comme La flor, beaucoup de films ont étiré leur durée dans une voie réflexive, comme pour jouer avec les spectateurs sur leurs propres limites et tenir un discours sur les normes arbitraires (pourquoi l’heure et demie est le standard ?) qui régissent la longueur des projections. On pense aux expérimentations sur le temps réel d’Andy Warhol qui voulait « voir le temps passer » à travers les 321 minutes de Sleep (1964) ou les 485 minutes d’Empire (1965). Mais aussi à la déconstruction critique des médias de masse et de leur « monoforme » à l’inconséquente rapidité par Peter Watkins qui, dans son documentaire de 14 h 30, Le Voyage (1987), leur opposait des entretiens privilégiant l’écoute au long. Plus proche du projet de Mariano Llinás qui interroge les possibilités de la fiction, Out 1 de Jacques Rivette promettait d’ouvrir un film à l’improvisation totale, jusqu’à ne rien prévoir de sa durée au préalable – le film fait 12 h 55, mais il aurait pu continuer longtemps. Q. G. 47 BOBINES



Autres parutions de ce magazine  voir tous les numéros


Liens vers cette page
Couverture seule :


Couverture avec texte parution au-dessus :


Couverture avec texte parution en dessous :


Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 1Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 2-3Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 4-5Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 6-7Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 8-9Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 10-11Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 12-13Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 14-15Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 16-17Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 18-19Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 20-21Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 22-23Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 24-25Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 26-27Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 28-29Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 30-31Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 32-33Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 34-35Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 36-37Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 38-39Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 40-41Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 42-43Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 44-45Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 46-47Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 48-49Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 50-51Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 52-53Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 54-55Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 56-57Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 58-59Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 60-61Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 62-63Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 64-65Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 66-67Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 68-69Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 70-71Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 72-73Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 74-75Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 76-77Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 78-79Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 80-81Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 82-83Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 84-85Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 86-87Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 88-89Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 90-91Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 92-93Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 94-95Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 96-97Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 98-99Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 100-101Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 102-103Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 104-105Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 106-107Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 108-109Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 110-111Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 112-113Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 114-115Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 116-117Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 118-119Trois Couleurs numéro 167 fév/mar 2019 Page 120