BOBINES Asako I&II (2018) ces subtilités, si on ne les comprend pas, on les ressent vivement. Ses films sont en effet parcourus par une sensualité frissonnante du quotidien, un regard charnel sur la dureté des affects. C’est éclatant dans Senses, pour lequel Hamaguchi a organisé des ateliers d’improvisation (intitulés « Comment pouvons-nous mieux nous écouter les uns les autres ? ») surtout basés sur le toucher, sur ce que le corps révèle de l’inconscient. « Cette importance de la corporéité, je ne l’ai pas observée ailleurs, chez d’autres cinéastes japonais », souligne Clément Rauger. Ces ateliers apparaissent de manière réflexive dans le film, comme la pratique de la photo nourrissait l’histoire de The Depths (2010) ou le théâtre était central dans Intimacies (2012) : « La fiction s’intègre dans nos vies. Elle complète ce qui nous manque dans le réel et rend visible ce qui est caché. » On lui confie qu’avec ses films à la fois simples et EN COUVERTURE tortueux, peu respectueux des formats et parfois improvisés, ou encore ses réflexions vertigineuses sur les chausse-trapes de la fiction, il nous fait plus penser à l’expérimentateur Jacques Rivette qu’à ses compatriotes plus installés, Naomi Kawase ou Hirokazu Kore-eda. En styliste du discours amoureux qui ne se considérerait pas encore arrivé à la bonne formule, Hamaguchi répond, un peu déçu : « J’essaye tout le temps de faire du Éric Rohmer, mais je n’arrive qu’à faire du Rivette. » QUENTIN GROSSET — PHOTOGRAPHIE : JAMES WESTON — : « Asako I&II » de Ryūsuke Hamaguchi Art House (1 h 59) Sortie le 2 janvier — UN CŒUR BALANCE Entre Tokyo et Osaka, les heurts sentimentaux vécus par la jeune Asako, qui s’entiche de Ryohei, sosie parfait de son premier amour, Baku, avant de revenir avec celui-ci, puis de le regretter… Avec ce canevas à la fois très simple et infiniment compliqué, Ryūsuke Hamaguchi parvient à la même densité que dans Senses, mais dans un écrin beaucoup plus concis et elliptique. Au-delà de l’impression dure à avaler que tous les amours ne sont qu’une variation du tout premier, c’est un dilemme millénaire auquel est confronté Asako, celui du pragmatisme (Ryohei) ou du fantasme (Baku), du confort solide et rassurant ou de l’enivrante fuite en avant. Jouant du parallèle entre la réapparition soudaine et quasi spectrale de Baku et la catastrophe subite du 11 mars 2011 au Japon, Hamaguchi capte surtout à pas feutrés ce trouble irréel, absurde et grisant créé par tout ce qui vient inopinément brusquer le quotidien et inviter à tout reconstruire de zéro. Q. G. 32 |