POPCORN « Allo, ALAIN DE L’OMBRE Le cinéma français est peuplé de seconds couteaux à qui les metteurs en scène trop frileux n’ont jamais permis de déchirer la toile. Ils errent de film en film, aiguisés, à l’affût, se constituant des carrières parallèles auxquelles l’absence de succès véritable donne un cachet particulier. Ce mois-ci… ÉTIENNE CHICOT monsieur Chicot ? C’est moi qui vous ai envoyé un mail pour l’interview… — Ah, exact. Eh bien donnons-nous rendez-vous vendredi. Et une fois qu’on se sera vus, faites bien en sorte de supprimer mon numéro de votre répertoire… Je suis très sérieux monsieur, si vous ne le faites pas, des gens se chargeront de le faire à votre place. — Euh… OK, à vendredi alors. » Ce vendredi n’arriva jamais ; Étienne Chicot est mort subitement le 7 août dernier, à l’âge de 69 ans. Les raisons de sa mort ? Inconnues. Mais sa présence en marge flottera toujours dans quelques-uns des meilleurs films de notre patrimoine. Révélé par deux comédies musicales mêlant rock et showbiz (Gomina en 1974 et Starmania en 1979), il a d’abord squatté l’univers de la musique : tour à tour chanteur (dans Je te tiens, tu me tiens par la barbichette de Jean Yanne), guitariste raté (dans Hôtel des Amériques d’André Téchiné), producteur de disques (dans Mort un dimanche de pluie de Joël Santoni), agent de groupes (dans Désordre d’Olivier Assayas) ou encore animateur radio (dans Fréquence meurtre d’Élisabeth Rappeneau). Et pour cause, Chicot tenta l’aventure dans le réel, outre son histoire d’amour mouvementée avec Véronique Sanson, en signant deux 26 COLLECTION CHRISTOPHEL albums chez Polydor en 1978 et 1981, dont un disque de reggae en compagnie du groupe Mami Wata. Celui qui avait passé son enfance en Afrique avant de débarquer à Paris à 20 ans chantait « j’suis qu’un ovni dans mon pays… » Et la centaine de rôles qu’il a tenus le prouve. Étienne Chicot est habillé d’un flegme d’ailleurs, d’une espèce de présence mi-compréhensive mi-aggressive pouvant le faire passer de son mythique rôle de paumé dans Le Plein de super d’Alain Cavalier en 1976 à des rôles de flic par dépit dans les années 2000 (Gomez & Tavarès, Da Vinci Code) ou à celui carrément borderline du play-boy quadragénaire de 36 fillette de Catherine Breillat (1988). Un certain cynisme et une amertume palpable se dégagent de ses apparitions. Capable d’alterner drames importants (Un mauvais fils, Le Choix des armes, Mortelle randonnée) et ratés retentissants (Le Choc, Dancing Machine), sa fin de parcours le verra autant chez Alexandre Arcady, Jean-Claude Brisseau, Claude Chabrol, Olivier Marchal et son vieux copain Patrick Bouchitey (Imposture en 2005) que dans les comédies de Fabrice Éboué ou de Dany Boon. Chicot incarnera toujours cette silhouette à la fois rassurante et effrayante, l’antipathique sympa, doué d’une élégance rare. Chicos. ROD GLACIAL |