OFF Toute bibliothèque sur Paris se doit de comporter quelques livres sur le Paris populaire du siècle dernier, celui des bistrots et des Halles, des ouvriers et des clochards, le Paris secret et souterrain des milieux interlopes, du petit peuple et des chansons tristes. Parmi les chefs-d’œuvre du genre figurent le célèbre Paris insolite de Jean-Paul Clébert, Le Vin des rues de Robert Giraud, Rue des maléfices de Jacques Yonnet, ainsi que les textes de Jacques Prévert, André Vers ou Robert Doisneau, tous compagnons d’errances et voisins de zinc. Ancien libraire, né auvergnat comme tant de cafetiers parisiens, Patrick Cloux arpente depuis longtemps cette littérature qu’il connaît comme sa poche, tout comme les ruelles et les histoires de la capitale, notamment le quartier des Halles avant sa transformation. Il se confie aujourd’hui dans Au grand comptoir des Halles, livre magnifique qui tient à la fois de la chronique – c’est le sous-titre, Chronique (en noir et blanc) –, de l’essai historique, de la galerie de portraits, de l’étude d’urbanisme et d’architecture, de la critique littéraire et de l’évocation poétique du Paris disparu, le tout dans une langue piquante, volontiers mal élevée, hantée d’un côté par l’argot des troquets et, de l’autre, par le beau style coulant de Léon-Paul Fargue, maître à penser de tous les piétons de Paris. La capitale que l’on découvre ici n’a pas grand-chose à voir avec la mégapole triomphante et ripolinée d’aujourd’hui : c’est une cité douteuse et LIVRES AU GRAND COMPTOIR DES HALLES DIX PETITES ANARCHISTES Dix jeunes ouvrières suisses, pénétrées d’idées anarchistes, quittent leur Jura natal pour s’inventer une vie en Amérique du Sud… Daniel de Roulet recrée l’effervescence utopiste de la fin du xix e siècle dans ce beau roman libertaire, drôle et tonique. B. Q. : Daniel de Roulet (Buchet-Chastel, 144 p.) trouble, populeuse et populaire, qui, comme l’écrit joliment Cloux, « libère des tonnes de nostalgie, d’alcool, d’aventures, de vinasse, de forfaitures, de crimes ». De misère, aussi : Cloux n’enjolive pas, il rappelle les conditions de vie douloureuses de l’époque, la dure existence des petites gens, ouvriers, putains et mendiants. L’état d’esprit, en revanche, l’ambiance libertaire et solidaire, lui manque La capitale que l’on découvre ici n’a pas grand-chose à voir avec la mégapole ripolinée d’aujourd’hui. LE CARROUSEL DES MALÉFICES Romancier, nouvelliste, Jean Ray (1887-1964) fut le maître du fantastique et du bizarre, un cousin belge de Lovecraft. Alma achève en beauté son grand chantier de réédition intégrale avec ce Carrousel, dix récits exemplaires de son art inquiétant et glauque. B. Q. : Jean Ray (Alma Éditeur, 290 p.) 126 terriblement, tout comme les pavillons Baltard évoqués en introduction et en conclusion. Vous repérerez facilement ce Grand comptoir sur les tables de votre libraire à cause de la photo de couverture (signée Doisneau) : trois types au zinc, improbables et louches, de véritables gueules. Ce livre est comme eux, il a de la gueule. BERNARD QUIRINY — : « Au grand comptoir des Halles » de Patrick Cloux (Actes Sud, 336 p., 22 € ) — USAGES DE FAUX L’auteure du Nécrophile admirait le marquis de Sade, Marcel Proust, Alfred Jarry, Gustave Flaubert, E. T. A. Hoffmann : elle leur rend hommage dans ce livre de pastiches, sortes d’effractions amoureuses dans leurs univers et leurs styles. Le vingtième et dernier n’est autre… qu’un pastiche d’elle-même ! B. Q. : de Gabrielle Wittkop (Verticales, 176 p.) |