ZOOM ZOOM FILMS LES CONFINS DU MONDE Film de guerre situé en Indochine, le nouveau Guillaume Nicloux (Valley of Love, The End) part de faits historiques réels pour mieux s’engouffrer dans des visions perturbantes et fantasmatiques. Difficile de réaliser aujourd’hui des films de guerre immersifs tant le genre a été épuisé à travers les années. Pour offrir netteté et précision à son projet, Guillaume Nicloux s’est justement penché sur une époque trouble et un conflit opaque. En 1945, tandis que la Seconde Guerre mondiale est en train de s’achever, des troupes hexagonales tentent de récupérer l’Indochine, mais la terrible riposte du Japon entraîne le 9 mars le massacre de nombreux Français. Le survivant Robert Tassen (Gaspard Ulliel), qui s’extrait littéralement du royaume des morts dans la première séquence, souhaite donc venger sa famille. Commence alors un récit spectral et fantomatique Comment est née l’envie de réaliser ce film de guerre historique et organique ? Raoul Coutard [célèbre chef opérateur,ndlr], qui a signé la photo de mes premiers films, me parlait souvent de la guerre d’Indochine comme ce qu’il avait vécu de plus douloureux et de plus beau à la fois. Ce fascinant témoignage a fait écho plus tard à mon intérêt pour le coup de force de mars 1945. dans lequel plusieurs rencontres aiguillent le personnage à travers l’apocalypse. Le militaire va notamment croiser un mystérieux écrivain (Gérard Depardieu), fréquenter un soldat aux airs de dur à cuire (Guillaume Gouix) et tomber amoureux d’une prostituée (Lang-Khê Tran). Cette errance physique et mentale mêle le chaos intime d’un homme à des thèmes plus larges : les ravages du colonialisme, l’enlisement sexuel, l’opposition entre pulsions destructrices et désirs de bonheur. Au moyen d’une mise en scène aussi brutale que mystique, le cinéaste atteint ainsi, au cœur des ténèbres, la grâce cinématographique. DAMIEN LEBLANC — : de Guillaume Nicloux Ad Vitam (1 h 43) Sortie le 5 décembre — 3 QUESTIONS À GUILLAUME NICLOUX Gaspard Ulliel parle d’un tournage dans des conditions très difficiles. On a en effet investi un lieu très prégnant, la jungle vietnamienne, avec son hostilité, son humidité, ses insectes. Il fallait se laisser absorber afin que la nature agisse sur nos corps. On était en perpétuelle connexion avec l’endroit, dans une exploration de nous-mêmes. 66 E-I Quel point de vue portez-vous sur votre personnage et son rapport à l’altérité ? Tassen obéit à deux choses incontrôlables : le désir de vengeance et le désir d’amour. Ça le conduit dans les deux cas à une perte inéluctable. On peut éprouver de l’amour dans les conflits – c’est paradoxal –, car on ne se sent jamais autant vivants que quand on frôle la mort. |