Trois Couleurs n°165 décembre 2018
Trois Couleurs n°165 décembre 2018
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°165 de décembre 2018

  • Périodicité : mensuel

  • Editeur : MK2 Agency

  • Format : (170 x 285) mm

  • Nombre de pages : 116

  • Taille du fichier PDF : 16,4 Mo

  • Dans ce numéro : Amanda...

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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DÉCRYPTAGE BRISER LE SORT BOBINES Remake très personnel du film de Dario Argento sorti en 1977, le Suspiria de Luca Guadagnino transforme cette histoire de danseuses menacées par une force mystérieuse dans leur inquiétante école en un manifeste très radical de sorcellerie. Un sublime sabbat dansé, grotesque et sensuel, qui réinvente l’image de la sorcière. L’occasion de revenir sur cette figure de conte qui, à l’écran, a toujours catalysé les stéréotypes, les peurs et les révolutions du féminin. Mais pourquoi la sorcière nous fait-elle peur ? La question peut paraître absurde tant notre imaginaire a été fondu au creuset des stéréotypes du conte. Une sorcière, c’est moche et c’est méchant  : c’est le manichéisme de Hollywood (ce qui est beau est bon, ce qui est laid est dangereux) qui a imposé cette vision hideuse et universelle. Dans sa réinterprétation du Blanche-Neige des frères Grimm, en 1938, Walt Disney transforme l’horrible belle-mère narcissique en une vieille femme monstrueuse. Un processus de révélation (la laideur intérieure transparaît à l’extérieur) censé permettre aux petits comme aux grands d’identifier le mal. Même chose l’année suivante avec la terrible sorcière de l’Ouest du Magicien d’Oz (1939), affublée d’un visage tout vert et de vêtements sombres. Le principe est clair, et Guadagnino a retenu – en apparence – la leçon pour son 38 Suspiria  : sous le plancher de l’école de danse que la jeune Susie (Dakota Johnson) intègre se cache un monstre affreux qui attend qu’on lui sacrifie la danseuse. Les peurs enfantines du conte resurgissent tandis que la pourriture des corps vieillissants attend, menaçante, la jeunesse. VIEUX CHAUDRON La belle-mère de Blanche-Neige, la sorcière Maléfique (La Belle au bois dormant, 1959), l’improbable Mme Mim (Merlin L’Enchanteur, 1964) ou encore la terrifiante Ms. Ernst (cauchemardesque Anjelica Huston dans Les Sorcières de Nicolas Roeg, 1990)… toutes ces créatures terrifiantes, vieilles femmes vivant souvent seules, à la beauté factice ou au corps flétri, révèlent un même vieux sous-texte sociologique  : il faut se méfier de la femme âgée, surtout quand elle n’a
Suspiria de Luca Guadagnino (2018) pas d’enfant. Ainsi, tandis que la tornade entraîne Dorothy du Kansas au pays d’Oz, elle voit par la fenêtre la terrible Ms. Gulch sur son vélo, vieille fille acariâtre, devenir la méchante sorcière de l’Ouest sur son balai. À l’aune de ce cliché, le gynécée inquiétant de Suspiria prend des allures de piège. Jouant sur l’étrangeté des physiques (Sylvie Testud, grimée, dans un rôle quasi mutique) et le vieillissement des corps des actrices (le come-back d’une muse de Rainer W. Fassbinder, Ingrid Caven), Guadagnino réussit avec très peu d’effets à transformer dans l’esprit du spectateur ces professeures de danse sans vie de famille, qui logent dans l’école, en d’horribles sorcières. Regards concupiscents sur les corps juvéniles, gros plans sur les visages ridés, rires déplacés et absence de figures masculines produisent une improbable sensation de menace, forgée par des années de stéréotypes. Une représentation balisée qui va servir ensuite au réalisateur à faire exploser les clichés. PHILTRE D’AMOUR Quand la sorcière s’échappe de cette vision manichéenne, c’est souvent, hélas, pour être réduite à un autre stéréotype. Dégagée de son balai, de son chat noir de vieille fille et de ses habits monacaux, la sorcière devient désirable et voit sa féminité devenir SUSPIRIA 39 La sorcière devient une figure positive. Mieux  : une inspiration. ensorcelante. Dans Ma femme est une sorcière de René Clair (1944), la sculpturale Veronica Lake joue les ensorceleuses ingénues et finit par rendre fou un homme politique. Si la vision est tendre et que la sorcière est enfin l’héroïne (car dégagée de sa laideur originelle), elle se voit quand même réduite à une féminité agressive, conquérante, qui synthétise les peurs masculines. Comme dans L’Adorable Voisine de Richard Quine (1959), où Kim Novak envoûte son voisin James Stewart, le cinéma utilise les pouvoirs de la sorcière pour rejeter la faute des histoires d’amours adultères sur les femmes. Penauds face à leurs désirs, les réalisateurs et scénaristes hommes fantasment une mystique des corps féminins. Des querelles hyper sexuées des Sorcières d’Eastwick de George Miller (1987) jusqu’à la malédiction romantique des Ensorceleuses de Griffin Dunne (1999) en passant par la naïveté fleur bleue d’Un amour de sorcière de René Manzor (1997), le cinéma use et abuse de la sorcière comme d’un viatique pour traiter avec une distance et une légèreté pudibonde du désir féminin, comme pour mieux le déréaliser. La sensualité des scènes de danse de Suspiria et l’érotisme puissant qui s’en dégage bousculent ces codes. La tension sexuelle et mystique entre la chorégraphe Mme Blanc (Tilda Swinton) et la danseuse Le Magicien d’Oz de Victor Fleming (1939) BOBINES COLLECTION CHRISTOPHEL



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