DÉCRYPTAGE BRISER LE SORT BOBINES Remake très personnel du film de Dario Argento sorti en 1977, le Suspiria de Luca Guadagnino transforme cette histoire de danseuses menacées par une force mystérieuse dans leur inquiétante école en un manifeste très radical de sorcellerie. Un sublime sabbat dansé, grotesque et sensuel, qui réinvente l’image de la sorcière. L’occasion de revenir sur cette figure de conte qui, à l’écran, a toujours catalysé les stéréotypes, les peurs et les révolutions du féminin. Mais pourquoi la sorcière nous fait-elle peur ? La question peut paraître absurde tant notre imaginaire a été fondu au creuset des stéréotypes du conte. Une sorcière, c’est moche et c’est méchant : c’est le manichéisme de Hollywood (ce qui est beau est bon, ce qui est laid est dangereux) qui a imposé cette vision hideuse et universelle. Dans sa réinterprétation du Blanche-Neige des frères Grimm, en 1938, Walt Disney transforme l’horrible belle-mère narcissique en une vieille femme monstrueuse. Un processus de révélation (la laideur intérieure transparaît à l’extérieur) censé permettre aux petits comme aux grands d’identifier le mal. Même chose l’année suivante avec la terrible sorcière de l’Ouest du Magicien d’Oz (1939), affublée d’un visage tout vert et de vêtements sombres. Le principe est clair, et Guadagnino a retenu – en apparence – la leçon pour son 38 Suspiria : sous le plancher de l’école de danse que la jeune Susie (Dakota Johnson) intègre se cache un monstre affreux qui attend qu’on lui sacrifie la danseuse. Les peurs enfantines du conte resurgissent tandis que la pourriture des corps vieillissants attend, menaçante, la jeunesse. VIEUX CHAUDRON La belle-mère de Blanche-Neige, la sorcière Maléfique (La Belle au bois dormant, 1959), l’improbable Mme Mim (Merlin L’Enchanteur, 1964) ou encore la terrifiante Ms. Ernst (cauchemardesque Anjelica Huston dans Les Sorcières de Nicolas Roeg, 1990)… toutes ces créatures terrifiantes, vieilles femmes vivant souvent seules, à la beauté factice ou au corps flétri, révèlent un même vieux sous-texte sociologique : il faut se méfier de la femme âgée, surtout quand elle n’a |