L. BOBINES Akemi Negishi prodigieuse, et fait construire, dans un studio de Kyoto, un décor remarquablement sophistiqué pour recréer l’île d’Anatahan. C’est toute l’ironie, merveilleuse, du tournage de cet ultime chef-d’œuvre, qui a vu Sternberg rejoindre finalement cet Orient que ses films précédents n’avaient fait que fantasmer, mais pour s’enfermer de nouveau dans un studio. UN DIEU C’est que Sternberg ne pouvait tourner son dernier film qu’à l’image de tous les précédents : en démiurge. Son assistant réalisateur, japonais comme tout le reste de l’équipe, devait se souvenir plus tard * : « En commençant la préparation, je croyais naïvement qu’on tournerait sur l’île d’Anatahan. Lui avait décidé dès le départ de tourner intégralement en studio. « Tu vas m’objecter que chaque arbre a été créé par Dieu et qu’aucun homme ne pourrait en créer de pareil. Mais je ne crois pas que les choses que Dieu a créées soient parfaites, du moins d’un point de vue artistique. Ce que je créerai de ma main sera, artistiquement, plus parfait. » » Il avait raison évidemment. RÉCIT Sternberg ne pouvait tourner son dernier film qu’à l’image de tous les précédents : en démiurge. 48 Anatahan est le film d’un génie qui a trouvé de nouveaux moyens d’atteindre la perfection. Une perfection dénudée de toute la flamboyance baroque de ses autres films, et dont le ton languide et triste donne l’étrange sentiment de voir, dans ces ultimes images, un peu plus que le testament d’un grand cinéaste : quelque chose comme le tout dernier des films, ramené par les flots depuis l’autre bout du monde. Le dernier des films, sur la dernière des femmes. Dans son récit, l’assistant réalisateur précise : « Sur le tournage, j’ai fini par me rendre compte que Sternberg était fou. Mais ce que je regrette, c’est d’avoir pu croire qu’un artiste pouvait ne pas l’être. » JÉRÔME MOMCILOVIC — : « Anatahan » de Josef von Sternberg Les Bookmakers/Capricci Films (1 h 34) Sortie le 5 septembre — * Au cours d’une table ronde réalisée en 1953 par la revue japonaise Kinema Junpō. 1976 – MERI VON STERNBERG |