RÉCIT LE DERNIER FILM AU MONDE En 1952, Josef von Sternberg, le plus raffiné des esthètes hollywoodiens, l’inventeur du glamour, abandonne l’Amérique sans regret pour tourner au Japon son dernier film, Anatahan. Boudé à sa sortie et pourtant sublime, le film ressort aujourd’hui dans une version restaurée. La reine des abeilles s’appelle Keiko et quand elle apparaît à Anatahan, dans le tintement d’un rideau de coquillages, les soldats en rang épars ne sont plus qu’une grappe d’yeux mouillés d’admiration, aveugles d’avoir vu à la fois la première de toutes les femmes, et la dernière. « Ainsi nous apparut Keiko. D’abord, elle ne fut pour nous qu’un être humain de plus, échoué sur cette pointe d’épingle de la carte. Puis elle devint une femelle à nos yeux. Et enfin, une femme. La seule femme sur Terre. » La dernière femme au monde, oubliée par la guerre qui vrombit tout autour. La première également : Ève en kimono dans un éden de l’archipel 46 des Mariannes, à l’est des Philippines. Dans Macao, le dernier film qu’ait tourné Sternberg pour Hollywood, quelques mois tout juste avant Anatahan, un douanier accueillait le personnage joué par Robert Mitchum avec cette étrange politesse : « Notre souhait, Monsieur, est que tous les visiteurs de Macao se sentent ici aussi tranquilles qu’Adam dans le jardin d’éden. » « Tranquille, réplique Mitchum ? Ce n’est pas ce qu’on m’a dit ! » UNE ÎLE Chef-d’œuvre et chant du cygne de l’un des plus grands artistes qu’ait recueilli Hollywood, Anatahan est à la fois unique et |