OFF Juillet LE BRAS CASSÉ DU CINÉ HARISSA POTTER 2016. Au cinéma, Berthe, ta copine, t’a mis un petit coup de boule vers la tempe – heureusement amorti par sa chevelure bleu ciel parfumée aux figues de barbarie – pour te raisonner. À l’écran, le film d’épouvante te terrifiait, au point d’avoir tenté de caler du popcorn dans ton slip – comme dans Tetris – pour cerner ta vessie, laquelle menaçait de libérer deux gouttelettes. Au milieu du long métrage, tu t’es approché de l’oreille de ta compagne, la barbe moite, confus au possible : « Je ne sais pas ce qui m’arrive… Tu sais bien que… S’il te plaît, Berthe… — Ta barbe sent la frousse… Tu me le payeras… » Avec son index et son menton, Berthe te fit signe de quitter la salle. Dans son regard noir expresso, tu avais vu, impuissant, ta dignité se noyer comme un biscuit dégueulasse. Sitôt la séance terminée, elle te jeta calmement, empor tant avec elle ses baisers magiques, ses grands yeux violets et, surtout, deux bons gagnés à ton boulot pour goûter des pièces montées. Six mois plus tôt, Berthe avait été séduite par ton témoignage sur un forum de survivalistes dans lequel tu racontais (sous le nom de Harissa Potter) 122 six nuits, seul dans une forêt slovène, à grignoter – en l’absence de vivres – des morceaux de ton propre froc (en coton très fin). Le seul accompagnement était un peu de piment mira culeusement oublié dans la poche de ta doudoune sans manches – un reste de barbecue à La Nouvelle- Orléans, disais-tu. Récit fictionnel de bout en bout, tiré de l’un des incalculables mauvais rêves qui pourrissaient tes nuits. Juillet 2018. En allumant la radio, tu écoutes une fille raconter son impressionnante ascension, après la publication de son roman. La voix t’est familière, l’histoire du bouquin aussi : une forêt slovène, un pantalon de tailleM, du piment rouge, des poches, une barbe frisée comme la tignasse de Pierre Perret. L’animateur est dithyrambique : « Une formidable réflexion sur l’instinct de survie, promise à une traduction en plusieurs langues et une adaptation au cinéma. » L’auteure se pavane : « Je mûris la trame de cette histoire depuis une quinzaine d’années… On m’a traité de folle mais j’ai tenu bon. » Une goutte de sueur partie de ta nuque a fini par se loger dans ta raie : Berthe était devenue célèbre grâce à Harissa Potter. RAMSÈS KEFI — ILLUSTRATION : AMINA BOUAJILA |