BOBINES 4 On est à la fois sur cette plage de Cergy et quelque part en Afrique. En fait, ce lieu raconte tout un tas d’autres lieux, réels ou imaginaires. Est-ce qu’on peut rapprocher votre démarche documentaire de celle de Claire Simon pour Le Bois dont les rêves sont faits (2016), tourné au bois de Vincennes ? Tout à fait. Quand le film est sorti, je suis allé le voir tout de suite parce que ça me faisait penser à L’Île au trésor, que je préparais depuis cinq ou six ans. Les deux films explorent des territoires à la lisière de la ville, des endroits qui permettent d’échapper quelques heures à la violence des rapports sociaux. Après, celui de Claire Simon est plus sérieux. À la limite, je dirais que mon film se rapproche plus de Ce cher mois d’août (2008) de Miguel Gomes [le réalisateur met en scène, dans une ambiance effervescente, l’été d’un village portugais montagneux,ndlr], il a ce désir premier de filmer cette sensation de l’été, des vacances. Plus encore des Hommes le dimanche (1930) de Robert Siodmak et Edgar George Ulmer, un documentaire allemand muet sur un dimanche au bord d’un lac en périphérie de Berlin – la ville se vide, il y a cette ambiance populaire, un côté « congés payés ». Je pensais aussi beaucoup à Zéro de conduite (1933) de Jean Vigo [qui suit de jeunes pensionnaires d’un internat qui fomentent une rébellion après que l’un d’entre eux a été injustement puni,ndlr], son esprit transgressif généralisé, ce jeu permanent avec la règle. En parlant de règle, ce qui semble notamment vous intéresser dans le motif du parc, c’est son aspect fermé, ses barrières, ses contrôles, ses grillages. Pourquoi ? Parce que c’est un lieu qui est protégé du monde, plus doux, plus accueillant que la ville autour, mais qu’en même temps il se transforme au même rythme que notre société. En préparant le film, j’avais trouvé des images d’archives qui remontent à la création de l’île de loisirs dans les années 1970. Il y a un côté plus libre, plus anarchique. Ça m’a fait bizarre de penser au dispositif de sécurité actuel, qui renvoie presque à l’univers carcéral, EN COUVERTURE avec toutes ces caméras de surveillance qui ne cessent de s’implanter. Et quand, en période de repérage, j’ai vu pour la première fois des gamins escalader la grille – fort heureusement de manière légère et ludique –, il y avait un écho avec les images de migrants qui essaient d’entrer en Europe ou en France. L’attentat de Nice dans la seconde partie de Contes de juillet, l’exil d’une famille afghane ou le récit du veilleur de nuit dans L’Île au trésor… Sans en avoir l’air, vos films sont en prise avec le monde contemporain. J’ai toujours cette angoisse de faire des films trop légers, trop anecdotiques. Je me demande si c’est légitime aujourd’hui de faire des films sur le sentiment amoureux alors « Les territoires à la lisière de la ville permettent d’échapper à la violence des rapports sociaux. » 32 |