Tabou Shellac Distribution Fantaisie postcoloniale sixties en noir et blanc, Tabou déroule un somptueux mélo excentrique et hanté dans lequel le jaillissement de la vie vient nourrir la mélancolie. D’une rare inventivité et d’une poésie décoiffante, MIGUEL GOMES et son croco espiègle font tourner les têtes. _Par Clémentine Gallot Une première partie crépusculaire, intitulée « Paradis perdu », s’ouvre à Lisbonne, où une retraitée en fin de vie, Aurora, divague auprès de sa voisine Pilar et de sa bonne noire. Avant de trépasser elle révèle son secret : un amour de jeunesse nommé Gian Luca Ventura, disparu depuis. Rien dans l’austérité de ces funestes prémices ne nous prépare au rythme trépidant et langoureux qui nous emportera ensuite. Dans la jungle en plastique d’un centre commercial, l’octogénaire Gian Luca, retrouvé, va prendre en charge, sur le registre du conte, toute la suite de la narration – passage de relais particulièrement émouvant entre une disparue et son ancien amant. Revivre Rembobinage. La seconde partie du film, baptisée « Paradis », s’épanouit dans l’extase du souvenir : celui, solaire, de la jeunesse africaine d’Aurora au pied du mont Tabou. Chasseuse, jeune mariée indépendante, elle s’éprend de Gian Luca, musicien de passage qui roucoule sous ses fenêtres. Leurs ébats secrets se reflètent bientôt dans l’œil humide d’un crocodile de compagnie, seul gardien romantique de leur idylle. Dans ce second volet, largement improvisé au tournage, les acteurs se sont tus : seule subsiste une voix off et des sons d’ambiance. Ce dispositif, au lieu de figer le récit dans une reconstitution poussiéreuse, prend à rebours la sensualité et l’élan contrarié des deux amants cachés, pour mieux en différer l’ivresse. En lieu de dialogues, une B.O. de film muet et une reprise des Ronettes en espagnol (« Tú serás mi baby »), écho lointain des chansons populaires de Ce cher mois d’août. Le groupe de pop de Gian Luca, tout de blanc vêtu, joue et se déhanche pour la bonne société locale autour d’une étrange piscine vide, diffusant son rythme qui swingue, berçant une nature réanimée par les escapades amoureuses. Gomes revisite ici conjointement la mémoire d’une love story et du passé colonial portugais : un retour du refoulé sans excès d’exotisme, avec pour référent une Afrique fantasmée empruntant son expressivité au pouvoir d’évocation de l’âge d’or du cinéma muet et aux récits d’aventure. Cette fiction à double face (vieillesse, puis jeunesse), au lyrisme frémissant, rappelle que nos aînés aussi ont été jeunes un jour. ♦ Tabou de Miguel Gomes Avec : Ana Moreira, Carloto Cotta… Distribution : Shellac Durée : 1h58 Sortie : 5 décembre Autour de Tabou _ParC.G. Ce cher mois d’août de Miguel Gomes (2008) Le deuxième long de Gomes, après La Gueule que tu mérites, l’a révélé mais s’est fait dans la panade financière. Réorganisé en deux parties, il mélange docu (préparation du film avorté) et fiction (tournage). Un film de vacances estival porté par un air de saudade. Au pied du mont Tabou – Le Cinéma de Miguel Gomes (Independencia, disponible) Un recueil d’entretiens éclairants menés chez le cinéaste à Lisbonne : on y aborde Chasseur blanc, cœur noir de Clint Eastwood, Godard, les faux « concepts » de cinéma et les films doubles « gomesiens ». 68 hiver 2012-2013 |