PERSPECTIVES voyage Merveille sauvage, la grotte Hang Son Doong n’est accessible qu’au prix d’un trek éprouvant. La crête sur laquelle j’avance avec prudence est longue de 50 mètres et effilée comme un rasoir. Elle surgit d’un cratère béant sculpté dans les entrailles de la Terre. « Quelle vue », lance mon guide Hieu. Je regarde vers le bas et en déduis qu’il plaisante, car mes yeux rencontrent le noir absolu d’un gouffre cosmique où en cas de chute je disparaîtrais dans le vide. Mais pour l’heure, le risque de glisser et de m’entailler la jambe me préoccupe davantage. C’est le troisième jour de notre excursion à la grotte de Hang Son Doong au Vietnam. Apparue il y a environ cinq millions d’années, elle est à ce jour la plus grande au monde : 5 km de long, 200 m de haut et 150 m de large, assez spacieuse pour abriter un pâté de maisons new-yorkais, gratte-ciel inclus. Sa taille imposante ne facilite pas pour autant sa localisation. Ce n’est qu’en 1991 que Hô Khanh, un bûcheron local, la découvre par hasard dans le parc national de Phong Nha-Ke Bang, au centre du Vietnam — un parc d’une superficie inférieure à Hong Kong — en cherchant un abri lors d’une tempête. Il mettra ensuite près de deux décennies pour la retrouver. En 2009, alors que la nouvelle de sa découverte se répand, il rejoint une expédition menée par la British Caving Association. Celle-ci mettra des mois à reconstituer son itinéraire. Pour atteindre la grotte, notre équipe de dix personnes traverse jungles et rivières souterraines et campe dans de vastes cavités. J’arrive enfin au bout de la crête. Alors que Hieu détache mon harnais, j’en profite pour me familiariser avec le lieu. Je comprends vite que mon guide ne plaisantait pas sur la vue, et que ce dont il parlait ne se trouve pas au-dessus de nous et pas en dessous. Obnubilé par mes pieds, je n’avais pas remarqué l’ouverture béante dans le toit de la grotte. Cet effondrement du plafond qu’on appelle doline résulte d’un séisme remontant à environ un demi-million d’années. Une brèche à travers la jungle où pénètre un gigantesque rayon de lumière révélant dans la grotte un spectacle des plus insolites : une luxuriante forêt tropicale souterraine recouvre le lit de la grotte. Hang Son Doong abrite des espèces végétales qui ailleurs, ont disparu depuis des centaines de milliers d’années. Plus fraîche et plus humide qu’à l’extérieur, la grotte a favorisé l’éclosion d’un écosystème unique en son genre. Un milieu en revanche peu accueillant pour l’homme : ce matin, je me suis réveillé tout trempé dans ma tente. « Les pieds risquent de pourrir s’ils ne sèchent pas », m’avait-on prévenu avant le départ. Emboîtant le pas à Hieu, je remonte de l’abysse vers la lumière, bientôt englouti par la jungle souterraine. Une énorme stalagmite improbable recouverte de mousse perce à travers le feuillage : « On appelle ça le gâteau de mariage », explique Hieu. Cela m’évoque plutôt un énorme tas de moisissure. « Vous pouvez monter au sommet si vous le souhaitez. » Je contemple le panorama. Le gazouillis des oiseaux me parvient de la surface à quelques centaines de mètres au-dessus. L’endroit est si préservé qu’on imagine sans peine ce que Hô Khanh a dû ressentir en pénétrant ici pour la première fois. À ce jour, le nombre de personnes ayant atteint le sommet de l’Everest est supérieur à celui des personnes ayant Trek au parc national Phong Nha-Ke Bang. 80 THE RED BULLETIN |