C’est avec ces références en tête que Mathieu rejoint l’équipe de l’émission Fragment of Hip-Hop sur Radio Canut (radio associative lyonnaise), en 2000. Il y rencontre Nicolas Venancio avec qui il va bientôt fonder le magazine Gasface. L’élément déclencheur ? Sa première interview, à Paris, celle du producteur californien Madlib. Il comprend ce jour-là quelle sera sa vocation. Et fin 2001 sort Gasface n°1. À cette période, le hip-hop se prend très au sérieux et le duo veut amener un nouveau souffle impertinent à la discipline. Les deux compères font des heures de route en Europe, vont même passer des virées à New-York pour rencontrer les poids lourds du rap, avant d’inventer des stratagèmes pour leur « voler » des interviews. « Les managers nous envoyaient chier donc on avait des bobards pas croyables. On donnait le nom de famille du rappeur à l’accueil de son hôtel et on regardait le type composer le numéro comme des détectives. Un soir, on s’est retrouvé à huit dans une chambre pour faire une interview ! » « On faisait des interviews en vrai, c’était notre point fort. » Mathieu, sur son PC, en 2001 à Lyon, en train d’enregistrer ses interviews sur disquette ! Gasface, les Inrocks du hip-hop En parallèle du fanzine, ils organisent des concerts à Lyon de façon à ne plus devoir voler leurs interviews. Surtout, ils mettent de l’argent de côté pour publier un « vrai » magazine. C’est à l’été 2006 que sort la nouvelle formule de Gasface en kiosque, toujours tranchante, touchant à toutes les branches de la galaxie hiphop – d’Isaac Hayes au producteur Pete Rock en passant par l’auteur George Pelecanos. « On faisait toujours des interviews en vrai, c’était notre point fort, pas de téléphone. Plus ça allait, plus on racontait, et on était plus intéressés par la rencontre en elle-même que par le fait d’écrire un papier. Et ce n’était pas que du rap, on voulait êtres les Inrocks du hip-hop. » Les beaux jours de la presse rap sont loin derrière et pourtant, le magazine cartonne. Les deux Lyonnais obéissent toujours à la loi de la débrouille ; rédaction, graphisme, régie pub, distribution, etc., ils apprennent sur le tas et deviennent des entrepreneurs par défaut. En 2008, leur sixième numéro est boycotté à la suite d’une couverture (affichant « Faut-il avoir peur de ces enculés de blancs ? ») qui suscite l’incompréhension : « Ça a provoqué beaucoup de buzz, on n’a jamais eu autant de presse. Libé et Les Inrocks nous soutenaient. Ce numéro de Gasface a été présenté au Conseil des L'une des meilleures ventes du magazine : Gasface n°3 avec Booba, Alchemist, Jacques Audiard. ministres pour voir s’ils pouvaient l’interdire, comme le Charlie Hebdo de 1969. Évidemment, ils ont vu que c’était une blague. » Sans garantie que les kiosquiers continuent à distribuer Gasface, le duo prend la décision d’arrêter. Au sommet. Au même moment, Sylvain Gire, directeur éditorial d’Arte Radio, les contacte et leur propose de réaliser un documentaire web. « On a connu la phase déclinante de la presse, mais sans le savoir, on s’est retrouvés dans la phase ascendante des nouveaux médias. » 58 THE RED BULLETIN JILL SALINGER |