uand les autres laissent leur vie se dérouler en pilotage automatique, lui n’a qu’une philosophie ; prendre le volant et se donner les moyens d’atteindre ses objectifs. Français, Noir, musulman, vivant dans un quartier populaire ? Bakary Sakho est surtout un mec qui bosse et qui ne jure que par la « performance sociale ». Sa première perf ? Elle date de 1996 : pour aider sa mère qui luttait afin d’obtenir un logement décent, après vingt ans passés dans un troispièces de 45 m² humide, « avec le plâtre qui se barrait », dans lequel se blottit sa famille de neuf personnes. Il a alors quinze ans, et il est stagiaire pour l’association Droit au logement (DAL), pour laquelle il organise des rassemblements devant les portes des bailleurs sociaux. « Ma mère était la première à se mobiliser dans le quartier, pour elle et pour des familles qui vivaient dans des conditions pires que la nôtre. Ça n’était pas une démarche politique. J’ai fait ça par amour pour ma mère, pour tout ce qu’elle avait fait pour moi », raconte-t-il assis au bureau de son QG cosy du 159 rue de Flandres, véritable petit temple dédié au basket. Il faudra quelques années pour reloger les familles, mais la machine à do-it-yourself est lancée. Elle montera en régime après un drame, la mort d’un copain de lycée d’une crise cardiaque. Une véritable prise de conscience pour lui et son groupe d’amis réunis sous l’alias BGA, pour Black Guerrilla Army, en référence au film Les Princes de la ville de Taylor Hackford. « IL FAUT FAIRE EN SORTE DE NE PLUS ÊTRE EXCLUS DES CERCLES DE DÉCISION. » « Après cette mort soudaine, j’ai réalisé qu’il fallait que je laisse une trace. J’ai décidé de moins traîner dans la rue et de donner un sens à ma vie avec tous ceux autour de moi. On a décidé de positiver ce qu’on faisait et BGA est devenu Braves Garçons d’Afrique. » Il se met à travailler sur la question de l’identité, et avec Christiane Taubira sur la loi sur la reconnaissance de la traite négrière. Déjà, il a dans l’idée de sortir de la Françafrique et de rééquilibrer les relations entre l’Hexagone et le continent noir : « D’un côté, on envoie des fusées dans l’espace, de l’autre, il n’y a pas d’eau potable. » Pendant cinq ans, il organise des conférences et débats avec des personnalités comme Lilian Thuram ou Olivier Laouchez. « L’idée, c’était de dire qu’on est fiers d’être Français, mais qu’on a aussi cette double culture, qui est racisée : quand on va quelque part, on est vus comme Noirs. On était dans l’air du temps, avec le débat sur l’identité nationale lancé par Sarkozy. » Un déclencheur Jusque-là, Bakary Sakho semblait parti pour une carrière assurée dans le milieu associatif. Mais sa conscience est bousculée en 2005, avec la mort de Zyed et Bouna, deux jeunes qui fuyaient la police à Clichy-sous-Bois, déclenchant trois semaines d’émeutes dans les cités françaises. « Pour moi, cet événement a été le tournant dans le milieu associatif. En tant qu’acteur principal, j’ai été choqué de voir que la réponse politique n’a pas été à la hauteur. Il n’y avait pas de leader, on ne parlait pas d’une même voix ! Nous vivons l’injustice de manière claire mais à quel moment va-t-on avoir un vrai discours ? » C’est lors de son séjour aux États-Unis, quelques mois plus tard, qu’il prend conscience des carences dans la « com » des quartiers populaires. Invité par l’ambassade américaine dans le cadre du programme des jeunes leaders internationaux, il se rend compte « qu’à part avoir fait du tort à l’intérieur des cités, on n’avait pas porté de message à l’extérieur ». Pendant trois semaines, il rencontre des maires, députés, sénateurs et apprend « le lobbying, la force de la communauté, l’indépendance financière ». « Ce que j’ai aimé, c’est que les Américains n’attendent rien des politiques. Ils se prennent en main pour initier des levées de fonds, comme ce médecin qui a lancé Youthville à Detroit, grâce à son association avec un cadre de Kellogg’s. Ils ont levé 24 millions de dollars pour un bâtiment immense avec terrain de sport, piscine, studio, salles de cours, centre de réinsertion… » Il en revient conforté dans l’idée que si quelque chose doit bouger dans les quartiers, il faut que ça vienne de l’intérieur. Il se met alors à arroser sa communauté de cette philosophie. Il récupère une salle dans un centre sportif du quartier, où sont dispensés des cours de CrossFit ou de basket, organise une dizaine d’événements par an, entre concerts, conférences, projections de films… « Aujourd’hui, on a un staff de 80 personnes, de 12 à 45 ans, explique-t-il. On partage la valeur du travail et de la discipline. Et on n’attend pas les autres pour faire. Si, pour un événement, on n’a que 4 000 euros sur les 10 000 nécessaires, on ne va pas aller pleurnicher aux portes. On fait avec. On n’a rien mais l’idée est bonne et elle est réalisable quand même ? On le fait. C’est ce qui s’est passé pour notre dernière bloc Les proches de Bakary : en bleu, Mody Niakaté, chef de projet digital. À droite, Sali Sylla, présidente de l’association Oasis Sportive. En jeans, Paul Odonnat, co-fondateur des All Parisian Games et de Faces Cachées Éditions. À vélo, Elias Konaté, animateur réseau. 32 THE RED BULLETIN |