SAMPA THE GREAT Le son de la diasporap Née en Zambie et installée en Australie, l’étoile montante du rap politique explique comment un retour aux sources peut façonner votre avenir. En mars de l’année dernière, Sampa Tembo, alias Sampa The Great, remportait avec Birds And The BEE9 le Australian Music Prize. Cette distinction prestigieuse pour tout musicien australien récompense l’excellence créative et non les ventes d’albums. Pourtant, Tembo n’est pas d’origine australienne, mais zambienne. Elle a quitté son pays natal en 2014 pour étudier la production audio. Dès sa première parution, The Great Mixtape sortie en 2015, la rappeuse suscite la curiosité des magazines de rap australiens, qui la consacrent comme l’une des leurs. L’idée du retour au pays est le fil conducteur des 19 titres de The Return, son premier album officiel sorti chez le label britannique Ninja Tune. La jeune femme de 26 ans nous explique pourquoi elle a réalisé la vidéo du single Final Formen Zambie, et comment elle a surmonté son manque de confiance. THE RED BULLETIN : Pourquoi avoir tourné la vidéo de Final Formen Zambie en y incluant vos amis et vos parents ? SAMPA THE GREAT : Je vis en Australie où j’ai lancé ma carrière d’artiste sans jamais me produire dans mon pays où aucune radio ne diffusait mes morceaux. Ma carrière en Australie a décollé subitement. Passages radio et concerts se sont enchaînés, et je suis même reconnue comme Australienne. Les Zambiens s’étonnaient alors de ne pas me voir me produire au pays, j’ai donc décidé de faire quelque chose pour me reconnecter avec eux. Comment avez-vous vécu ce retour ? La boucle était bouclée, je retrouvais ma terre natale en tant qu’artiste. Cela ne me gêne pas qu’on dise de moi que je suis basée en Australie, c’est en partie vrai. Au pays, mes amis me rappellent qu’ils savent d’où je viens, et je réponds n’avoir aucun contrôle en la matière. Pour moi, l’important était de raconter l’histoire qui m’a façonnée et ne pas laisser d’autres le faire à ma place. Que signifie ce retour au pays pour vous ? Vous y sentez-vous plus enracinée artistiquement désormais ? En Zambie, l’éducation ne tolère pas les prétentieux. Quand ma carrière a décollé, mes parents m’ont vite recadrée. Le retour aux sources consolide la progression. Ça vous rappelle d’où vous venez, et permet de remettre les choses en perspective, de se retourner pour voir le chemin parcouru. C’est important. En quoi avez-vous progressé ces dernières années ? J’ai plus d’assurance. Je fais ce pour quoi je suis née. Au début, j’étais rongée par le doute, car dans ma famille personne avant moi ne faisait de la musique en professionnel. Le fait d’y être parvenue et d’en tirer du plaisir renforce ma confiance en moi. Progressivement, l’assurance et le respect de soi se sont aussi accrus tout comme la volonté d’apprendre et de travailler sur mes faiblesses, afin d’éviter de tomber dans le piège de la suffisance. Comment avez-vous surmonté vos doutes ? En échangeant avec les autres. Le sentiment de vivre les choses seul rend vulnérable. J’essaie toujours de parler de la vie avec les gens que je croise, cela aide à prendre conscience des peurs et angoisses que nous avons en commun. Comprendre que nous sommes tous confrontés aux mêmes difficultés aide à dédramatiser son cas personnel et incite à chercher les réponses dans l’acquisition du savoir. Vous avez dit un jour qu’un bon étudiant s’efforce de maîtriser ce en quoi il est doué, mais aussi ce qui lui fait défaut. Qu’avez-vous tenté de maîtriser en préparant The Return ? Tant de choses. Pour résumer, je dirais que j’ai tenté de mettre les choses en perspective. Avec The Return, l’idée d’un impossible retour au pays, quelle qu’en soit la raison, me consumait jusqu’à ce que je rencontre des gens sans aucun espoir de retour, contraints de se créer une nouvelle patrie. Cela m’a poussée à prendre du recul et à constater que mon petit malaise et l’exil que je ressentais pesaient peu comparés aux leurs. J’ai compris que j’étais privilégiée, contrairement à ce que j’imaginais. Qu’a produit en vous cette prise de conscience ? Je me suis demandé ce que j’allais faire de ce privilège. S’il m’est donné de rentrer chez moi, je partagerais tout ce que je sais. Si l’occasion se présentait, je transmettrais aux Zambiens qui n’ont pas la chance de retourner chez eux ce qu’est notre patrie et notre culture. C’est ce sentiment de posséder un savoir dont l’autre est dépourvu et dont il pourrait bénéficier. Cette transmission devient un devoir pour la diaspora. The Return, premier album de Sampa The Great, est disponible sur Ninja Tune ; sampathegreat.com 26 THE RED BULLETIN BARUN CHATTERJEE |