« Il n’est jamais simple, au cours d’une carrière, de changer de prise de raquette. Quand on change une prise ou la forme d’un mouvement en minimes, cadet ou junior, cela peut passer. Mais il y a des circuits qui sont imprimés et c’est assez délicat de les modifier. Cependant, quand cela s’adresse à une adulte comme Alizé Cornet, cela s’avère encore bien plus dur. Notamment dans le domaine des prises de raquette. Cela s’explique surtout par le fait que la main a des terminaisons nerveuses excessivement fines. On empreinte ce qu’elles laissent sur le manche. Les terminaisons nerveuses ont de la mémoire, les muscles aussi, le cerveau également. Pour se débarrasser de gestes que l’on reproduit depuis des années des milliers de fois, c’est un véritable pari. Il faut que le cerveau soit excessivement bien organisé pour commander d’autres réactions aux muscles, tendons. Si on pouvait changer un mouvement sans que celui-ci soit imprimé dans les différentes parties du corps que je viens de signaler, cela serait tout simple. L’habitude reprend ses droits en permanence et il faut lutter contre. A mes yeux, c’est une décision très courageuse à prendre. En ce qui concerne les mouvements comme une modification du geste de service, du coup droit, du revers, c’est un peu plus commode, mais cela reste difficile car le résultat n’est jamais certain. Les habitudes prises depuis l’âge de 8, 10, 12, 14 ans sont compliquées à modifier. Et ceux qui s’y attèlent n’ont pas, encore une fois, un résultat acquis. L’idéal serait que la technique d’un joueur ou d’une joueuse soit maîtrisée, le plus jeune possible, dès l’âge de 10 jusqu’à 14 ans, pour n’avoir qu’ensuite plus qu’à travailler sur le physique, les améliorations tactiques, les améliorations stratégiques. S’il faut en plus de cela travailler sur des points techniques fondamentaux, cela intensifie la tâche. Déjà que lors d’une carrière il faut sans cesse travailler sur des détails techniques, alors que parfois on ne fait pas toujours attention à un placement, à une forme de geste... Ces détails sont déjà importants à corriger et sont compliqués à modifier. Si vous avez à prendre un chantier avec des modifications fondamentales à faire, cela devient très dur. Je pense que dans le cas de Cornet, ils ont dû en parler avec l’entraîneur, en faisant des essais. D’après ce que j’ai vu, les résultats leur donnent plutôt raison. Ils ne sont pas si mauvais que cela au bout de peu de temps. Cela ne se modifie pas au bout d’un mois ou deux. Sa décision est courageuse. Dans la mesure où cela lui donne le sentiment de pouvoir récupérer son niveau d’il y a trois ou quatre ans, plutôt que de se promener dans les 60 ou 70 mondiales, c’est bien. Il y a pas mal de joueurs ou de joueuses qui seraient bien avisés de considérer ce type de changements et bien avant que ce que fait actuellement Cornet. Il faut savoir que quand on met un chantier de ce type en place, on ne peut pas espérer retrouver de suite le niveau que l’on vient de quitter, voire d’atteindre un niveau supérieur. Il faut accepter d’une manière philosophique qu’il y ait besoin d’un temps d’acclimatation et qu’à partir de là on devienne performant. Il faut que cela soit raisonné, accepté et supporté par l’entraîneur et l’entraîné. Si ce genre de discussion n’a pas été réfléchie, on court à la catastrophe. Je me souviens d’une période où j’avais travaillé pendant tout un hiver avec François Jauffret. Pendant trois mois, on avait travaillé sur un revers lifté. Il ne le faisait pas volontiers en utilisant plus un revers à plat ou coupé pour monter au filet. Il voulait acquérir un revers lifté surtout pour ses passing-shot. Cela demande une modification de geste. Pour faire un revers lifté, il faut passer sous la balle pour la brosser, de bas en haut, alors qu’en coupé, on le fait de haut en bas, et à plat on adopte des trajectoires horizontales. Le simple fait d’être passé sous la balle, cela se déroulait bien à l’entraînement. On arrivait à le faire. Puis, dès les premiers matches en début de saison, il était revenu à son revers à plat et coupé. Il n’a jamais senti au bout de tant d’années d’exécution, suffisamment de confiance dans son jeu pour pouvoir exécuter un revers lifté sur un passingshot qui devait faire le point. Un garçon comme Gianni Mina a changé sa prise de coup droit depuis quelques mois. Il travaille toujours dessus, mais il n’en est pas encore sorti. Il n’y a pas longtemps, Djokovic, avec un coach américain, avait voulu changer son service. C’était une catastrophe ! Il faisait deux doubles fautes par jeu. Heureusement qu’il a abandonné ce projet car il aurait perdu son niveau et il n’aurait pas obtenu sa première place mondiale. En général, les joueurs de haut niveau ne changent pas leur jeu quand ils atteignent le rang des dix meilleurs mondiaux. Mais ils changent des détails. Tsonga a davantage travaillé sa forme de préparation notamment en revers pour que celui-ci prenne plus de longueur à l’échange. C’est lui qui le sent et sait comment la raquette se présente devant la balle ». *Ancien joueur, capitaine de l’équipe de France de Coupe Davis de 1980 à 1987, consultant télé « UN SACRÉ PARI DE CHANGER DE PRISE DE RAQUETTE »