Stylist n°34 30 jan 2014
Stylist n°34 30 jan 2014
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°34 de 30 jan 2014

  • Périodicité : hebdomadaire

  • Editeur : Timar

  • Format : (225 x 297) mm

  • Nombre de pages : 52

  • Taille du fichier PDF : 25 Mo

  • Dans ce numéro : avoir trop d'amis, c'est tellement 2013.

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

Dans ce numéro...
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e 25 mars 1925, une silhouette trapue grimpe les marches de la Bourse de Paris. Trenchcoat, gomina sur les cheveux, le petit homme barbu et discret se poste sous la verrière du Palais Brongniart. Petit à petit, dans la fièvre générale, les cris et les exclamations, il savoure sa victoire : la cote des actions de la Compagnie de Suez grimpe en flèche. La Bourse devient fébrile. Tout le monde veut racheter des actions Suez. Une chance : il en possède énormément. Il les a toutes achetées le matin même, sur la foi du témoignage de sa masseuse, qui s’occupe aussi des avocats de la Compagnie. C’est un formidable coup financier, un beau coup de bluff aussi. Et ce qu’on appelle aujourd’hui un délit d’initié. Deux heures plus tard, de retour chez lui, le bonhomme enlève sa barbe et son costume d’homme, enfile une jupe et redevient Marthe Hanau, la banquière qu’on appelle déjà « Madame la Présidente ». Mais qui est obligée de se travestir pour aller à la Bourse assister à son triomphe, parce que les femmes n’ont pas le droit d’y entrer (elles ne le pourront qu’à partir de 1967). Femme, juive, lesbienne, banquière Elle n’a que 39 ans, et est déjà la banquière la plus célèbre de Paris. Pourtant, rien ne la prédisposait à tutoyer les Présidents, à frayer à Deauville avec Coco Chanel et André Citroën. Marthe Hanau naît le 1er janvier 1886, à Paris, d’une famille de petits commerçants juifs. C’est une autodidacte de la finance. Et une rebelle. À l’adolescence, alors qu’elle passe ses vacances chez une cousine à Berck, elle s’amourache d’une musicienne. À son retour, sa mère découvre avec effroi des lettres brûlantes d’amour saphique que les deux jeunes filles s’envoient. Et interdit toute communication à Marthe qui, à peine revenue travailler au magasin familial, entame une liaison avec l’une des employées ! En 1908, sa mère est soulagée lorsqu’elle décide enfin de se marier à Lazare Bloch, un ingénieur. Marthe pose ses conditions très vite : « Pas d’enfants, pas de pantouflage. » Elle veut de l’aventure. Lazare est d’accord. 30 STYLIST.fr « les banquiers offrent 1% d’intérêts aux épargnants ? elle en propose 8%. » Pendant qu’il flambe sa dot de cent mille francs au jeu, Marthe tombe amoureuse d’une jeune fille de bonne famille, Delphine, dont le père est joaillier rue de la Paix. Delphine est fascinée par cette garçonne qui fume, s’affiche en terrasse aux côtés d’hommes, conduit des voitures à tombeau ouvert. Delphine est bientôt rebaptisée « Josèphe » par Marthe, et les deux amantes se lancent, avec l’argent de Josèphe, dans l’industrie du parfum. Lazare, qui lui-même accumule les maîtresses, les soutient. Le trio est parfait : l’ingénieur-financier ; la pourvoyeuse de fonds, docile et amoureuse ; et Marthe, la patronne toute-puissante. Dans cet entre-deux-guerres troublant, la France danse sur un volcan. L’instabilité politique est maximale : entre 1924 et 1930, pas moins de douze gouvernements se succèdent. Le pays a été ravagé par la Grande Guerre. L’Europe est en cendres. La révolution bolchevique bouscule les certitudes. Dans cette agitation généralisée, au son du fox-trot et du charleston, les classes moyennes – médecins, fonctionnaires, curés de campagne, officiers en retraite – sont de plus en plus attirées par la Bourse, qu’ils vénèrent comme le symbole de la promesse de jours meilleurs. Tout le monde s’improvise boursicoteur. Les banquiers se multiplient. Après tout, il suffit d’un bureau, d’un téléphone, et d’un peu de culot. À l’époque à Paris, Rue de Provence, il y a 470 maisons de crédit. Marthe Hanau se lance. La gauche bourgeoise et Mussolini Et elle a des ambitions. Et des idées. Elle veut inciter les petites bourses à lui confier leur argent. Les banquiers n’offrent qu’1% d’intérêts aux épargnants ? Elle en propose 8%. Et s’attaque au système bancaire, sur la foi de quelques principes simples qu’elle tient de ce que lui a appris Lazare (avec qui elle est restée amie après leur divorce en 1920) et de son sens des affaires. D’abord, la stabilisation du franc : elle considère que l’expansion financière d’un pays dépend de la stabilité de sa monnaie. Ensuite, pour qu’un titre soit coté en bourse, il faut créer autour de celui-ci un climat de confiance. Pour cela, elle a une idée : faire paraître des publi-reportages dans la presse financière pour faire croire – artificiellement – à la bonne santé des titres qu’elle veut vendre. Après un dîner arrosé chez Maxim’s, en 1925, elle décide carrément de créer son propre journal, qu’elle appelle… La Gazette du franc. Enfin, l’appui des politiques est fondamental. Marthe Hanau promet des cadeaux boursiers aux élus de l’époque afin d’acheter leur silence autour de ses « magouilles ». Eux-mêmes se chargent de la renseigner en avance des fluctuations géopolitiques de l’époque, qui ont une incidence directe sur les cours de la Bourse : Marthe dispose même d’un informateur direct au Quai d’Orsay. Et bientôt, la classe politique dans sa majorité – d’Aristide Briand au président Poincaré – la soutient. Cette gauche bourgeoise est fascinée par son train de vie, son entregent. Et puisque l’argent n’a pas d’odeur, elle n’hésite pas à faire affaire avec… Mussolini. À cette époque, Marthe tient salon à Deauville, au Ritz, dîne avec Colette sur la Côte d’Azur. Autour d’un bourgogne, l’auteure du Blé en herbe lui dit : « L’argent ? Mais je pense bien que c’est important ! Passé 20 ans, on ne fait bien l’amour que dans la soie. »
illustRAtion Julien PACAud/talkie walkie Photos : CORBIS ; rex featuRES Interrogatoire en fourrure Seulement, à force de défrayer la chronique par son train de vie, ses mœurs, et d’attaquer frontalement ses confrères banquiers, Marthe Hanau se fait des ennemis. Horace Finaly, le directeur général de la puissante Banque de Paris et des Pays-Bas la déteste. Et c’est un ennemi puissant, qui a notamment l’oreille du président Poincaré. Dans le but d’affaiblir son rival Aristide Briand, celui-ci finit par se retourner contre Marthe et critique ouvertement « ces maisons à l’opacité financière » en Conseil des ministres. De toute façon, le système Hanau est en train de s’effriter : l’opacité totale de ses opérations financières, le réseau complexe de sociétés qu’elle a montées font jaser. Et puis une partie de son système repose sur une chaîne de Ponzi (elle rétribue ses épargnants avec l’argent frais des nouveaux entrants) qui tient de l’escroquerie. D’ailleurs, des clients, poussés par Horace Finaly, déposent plainte contre elle. Elle est arrêtée le 4 décembre 1928. On l’emmène à la PJ, où elle arrive en manteau de fourrure. Aux inspecteurs qui lui demandent si elle consent à une perquisition à son domicile et en sa présence, elle répond : « Au point où j’en suis, je m’en fiche. » Elle est accusée d’escroquerie, d’abus de confiance, de création de sociétés fictives. Bravache, elle fait savoir à ses souscripteurs 1920, Charles Ponzi, le patriarche Le père de la fameuse « chaîne », un Italo-Américain, proposait des emprunts aux taux d’intérêt faramineux (50% en 3 mois !), qu’il payait avec l’argent des nouveaux souscripteurs. Quand le système s’effondre, sous la pression des banques, il a alors engrangé plus de 15 millions de dollars. Après cinq ans de prison, il meurt pauvre en Amérique latine. « j‘ai la nausée de cet argent qui m’écrasa » que les guichets de sa banque sont ouverts, et qu’ils peuvent récupérer leur argent. Ce qu’ils font ! Rue de Provence, où la police l’emmène en voiture, on crie sur son passage : « Au poteau ! Mort aux juifs ! » En attendant son procès, on l’emmène à la prison Saint-Lazare, où des bonnes sœurs font office de matonnes. À l’une d’entre elles, Marthe annonce la couleur : « Ma sœur, je suis Israélite d’origine, athée de religion, divorcée d’état civil. Voici Portrait trois vérités, et trois raisons de vous méfier de moi. » Son avocat (et tendre ami), Maître Alfred Dominique, loue une chambre en vis-à-vis de sa cellule. Pour égayer ses journées, il passe des opéras de Wagner, des concertos de Mozart, et du Beethoven à la fenêtre… Grève de la faim, fausse évasion, prison En 1930, elle décide de se mettre en grève Les Madoff finissent mal, en général 1934, Stavisky, la politique et le soufre Via une chaîne de Ponzi, Serge Stavisky a détourné plus de 200 millions de francs sous la protection de nombreux politiques. Il est retrouvé en janvier 1934 « suicidé » d’une balle tirée à bout portant. Sa mort entraîne les émeutes du 6 février 1934 qui provoquent la chute de Daladier. Un téléfilm est en cours de tournage par France 2 avec Tomer Sisley. 2008, Bernard Madoff, le roi du pénitencier « Bernie » a créé une chaîne de Ponzi de 1960 à 2008 et détourné 65 milliards de dollars. Condamné à 150 ans de prison, il règne désormais sur le pénitencier de Butner, en Caroline du Nord, où ses codétenus lui demandent des autographes et des conseils d’investissement. Son travail à la cafét’de la prison lui rapporte actuellement 14 cents de l’heure. de la faim pour obtenir sa liberté sous caution. Cette femme massive, à l’appétit gargantuesque, tiendra vingt-sept jours. Mais déjà, son deuxième procès s’ouvre. Elle crâne : « J’ai promis et donné 8% ; on m’arrête. » Elle est condamnée, fait appel. Mais elle est de plus en plus seule : Lazare meurt en 1934, et bientôt, son pourvoi en cassation est rejeté. Le 14 juillet 1935, faible, acculée, elle se suicide au véronal dans sa cellule de la prison de Fresnes. Elle laisse un mot à ses proches : « J’ai la nausée de cet argent qui m’écrasa. » On enterre alors la reine déchue de la Bourse au cimetière israélite de Bagneux. Marthe Hanau, à la fois escroc et banquière de génie, avait, au final, remboursé ses souscripteurs à 40%. Comme l’écrivit un journaliste de l’époque « Même les États ne peuvent en dire autant ! » À lire : La Banquières des Années folles, de Dominique Desanti (Fayard, 1968). À voir : La Banquière (inspiré de l’histoire de Marthe Hanau), un film de Francis Girod, avec Romy Schneider (1980). 2011, Sylviane Hamon, la Madoff de Touraine Difficile de rivaliser lorsqu’on passe après Bernard Madoff. Ainsi, la presse a bien vite surnommé Sylviane Hamon « la Madoff de Touraine » : cette employée de la BNP de Saumur est en prison pour avoir soutiré 3 millions d’euros à une cinquantaine de connaissances. Certes c’est beaucoup, mais n’exagérons rien. STYLIST.fr 31



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