Xoxoxoxo Malgré la guerre, elles avaient toujours le sens du style, de la beauté et de l’humour. Elles savaient aussi garder un certain calme. B Inela Nogic : J’étais morte de trac. Avant la compétition, j’ai même bu un peu d’alcool que m’avait apporté une amie. Et j’enchaînais les cigarettes. J’étais la numéro 6. Quand mon tour est arrivé, j’avais l’impression d’avoir la tête qui tournait. Mais miraculeusement, j’ai réussi à marcher sur le podium. B Marija Hudolin : Ça peut sembler bizarre mais j’étais bien plus nerveuse à l’idée de monter sur cette scène que lorsque je marchais dans les rues de Sarajevo, où j’aurais pourtant pu à tout moment me prendre une balle en pleine tête. « Dehors, tout pétait » B Ana Kovacevic : Elles ont d’abord fait un premier tour sur scène. C’était un moment très fort. J’ai trouvé que chacune d’entre elles dégageait une forme de bonheur et de paix intérieure qui tranchait avec Sarajevo. Dehors, tout pétait. On pouvait quasiment entendre les bombes exploser tout en les regardant marcher sur la scène. B Hanka Paldum : C’était comme si la guerre s’était arrêtée à l’entrée du bâtiment. B Inela Nogic : Dans les vestiaires, la styliste Gordana Magas a ensuite appelé les six filles sélectionnées pour le second tour. J’étais tellement excitée que je n’ai même pas entendu mon nom. Ça m’a rendue très triste et 6 0 eST YL7cST j’ai commencé à ranger mes affaires. Pensant que j’abandonnais, les autres filles sont tout de suite venues me voir pour me remotiver et j’ai finalement compris que j’étais prise pour le second tour. B Hanka Paldum : Inela Nogic et Marija Hudolin font partie de celles qui nous ont vraiment conquis. Elles avaient toutes les deux beaucoup de charme. Inela avait surtout une sorte d’assurance dans sa beauté. Je pense que c’est ce qui a séduit les juges. B Inela Nogic : Après le second tour, le jury a commencé à annoncer les gagnantes. Marija a fini deuxième, puis j’ai entendu mon nom. J’ai eu l’impression de sentir le sol se dérober sous mes pieds. Il y a eu beaucoup de bruit. J’ai regardé le public. Je me disais « Souris Inela ! Jette les fleurs ! Salue ! » B Bill Carter : C’était totalement surréaliste de voir ces femmes habillées ainsi. On se serait cru dans une représentation dada. Mais il y avait un symbolisme très fort, on avait l’impression d’observer Sarajevo en train de rappeler son existence au monde entier. Surtout quand les filles ont déplié la bannière. Ici Sarajevo B Hanka Paldum : Sachant que l’événement attirerait des journalistes des médias étrangers, l’activiste Janez Tadic a eu l’idée de fabriquer cette bannière « Don’t let them killus ». C’était une manière d’envoyer un message au monde entier, pour faire bouger les gens et éviter un génocide. « à ce moment-là, je ne savais même plus comment je m’appelais » inela Nogic B Ana Kovacevic : C’était incroyable. J’ai failli pleurer en voyant cette bannière. B Marija Hudolin : J’ai appris plus tard que cette image avait fait le tour du monde. Ce jour-là, nous sommes devenues un symbole de la résistance dans Sarajevo assiégé. Le groupe U2 en a même fait une chanson nommée Miss Sarajevo. B Hanka Paldum : Ce n’est que plus tard que le monde a réalisé l’importance de cet événement. Sur le coup, je me rappelle avoir eu un très mauvais retour des médias, qui ne comprenaient pas pourquoi nous organisions un concours de beauté alors que des innocents mourraient au coin de la rue. B Marija Hudolin : Après le concours, Miss Sarajevo s’est retrouvée en Une de toute la presse. Mais juste derrière, les pages suivantes continuaient de faire le décompte quotidien des morts et des blessés. C’était toujours notre vie de tous les jours, notre routine. Nous n’avions toujours ni eau ni électricité. C’est un sentiment terrible de s’endormir le soir sans savoir comment trouver à manger pour tes enfants... Je me souviendrai toujours des pleurs de ma mère. B Bill Carter : Le concours de Miss Sarajevo a été très vite oublié par tout le monde et la vie a repris son cours comme dans n’importe quelle ville en guerre. Ce n’est que rétrospectivement que l’on a pu réaliser l’importance de cet événement. Sur le coup, ce n’était qu’un jour de survie de plus dans Sarajevo. Ce n’était qu’un bouquet de fleurs déposé au milieu de la guerre. photos : corbis |