Story 5 8 B Marija Hudolin (mannequin, deuxième du concours) : Quand la guerre a éclaté au printemps 1992, je n’étais encore qu’une adolescente de 16 ans. Je ne comprenais pas vraiment ce qui se passait. Je me souviens de mes parents manifestant avec des milliers de personnes et chantant « This is Sarajevo, we want peace ». Nous ne réalisions pas que le siège de la ville qui venait alors de démarrer allait durer 1425 jours et serait le plus long siège de l’histoire moderne. B Hanka Paldum (organisatrice et présidente du jury) : À cette époque, en 1993, les gens ne vivaient que pour survivre. Tout n’était qu’improvisation. Pour les aider à garder espoir, nous avons décidé de créer quelque chose à partir de rien, en organisant un événement culturel au milieu de tout ça. Pour beaucoup, l’idée de faire ce concours de beauté n’était que pure illusion. Mais pour nous, c’était surtout un challenge et un moyen de défier la vie que nous étions forcés de vivre. Il n’y a aucune guerre B Inela Nogic (mannequin gagnante du concours, dans une interview réalisée en octobre 1993 par le journaliste Goran Rosic) : Un jour, alors qu’elle rentrait du travail, ma mère m’a dit qu’elle m’avait inscrite au concours de Miss Sarajevo et que je devais me présenter le lendemain à la première répétition, dans le hall Duro Dakovic. J’étais confuse et j’ai commencé à lui crier dessus. Au début je ne voulais pas y aller. eSTYL7cST marija (2), inela (6), Encore des filles qui font leur numéro Miroir, dis-moi qui EST la PLUS belle DANS LES ENCEINTES : EVE OF DESTRUCTION DE BARRY MCGUIRE B Marija Hudolin : Ce n’est pas très dur d’entendre parler d’un événement de ce genre quand partout autour les seuls sujets de discussion sont les victimes quotidiennes, l’aide humanitaire et les moyens de trouver de l’eau et de la nourriture. Des amis m’ont inscrite sans même me prévenir. Dans cette ville où la frontière entre le rire et les larmes était devenue floue et où vous pouviez passer de la vie à la mort à n’importe quel moment, ce message d’espoir avait plus de valeur pour moi que jamais. C’est pour ça que j’ai accepté de participer à ce concours. B Bill Carter : En réalité, c’était un peu comme un doigt d’honneur. Une manière d’agir comme si tout allait bien, qu’il n’y avait aucune guerre. B Hanka Paldum : Nous avons planifié l’événement avec beaucoup de prudence car nous ne voulions pas être interrompus par les bombes ou les snipers. Il a donc été prévu que le concours se tiendrait dans le sous-sol du Centre culturel bosnien, un bâtiment bien caché par toute une série d’immeubles. B Marija Hudolin : À l’origine, le concours devait avoir lieu quelques jours plus tôt. Mais à cause des bombardements violents sur Sarajevo à ce moment-là, le risque était trop élevé. Le concours a donc été déplacé au 29 mai. B Inela Nogic : On nous avait promis beaucoup de choses avant le concours. Des boutiques étaient censées nous donner des vêtements, du maquillage, etc. Mais nous n’avons rien eu de tout ça. C’était pareil pour les trophées. Il n’y en avait pas. Mais ce n’était pas très grave. B Marija Hudolin : Pour préparer le concours, j’ai modifié une de mes robes, profitant d’un des rares moments où nous avions de l’électricité. J’ai emprunté les chaussures à talons d’une voisine et j’ai récupéré le maquillage de ma grand-mère. J’ai aussi piqué à mes parents un kilo de sucre – ce qui valait une fortune à cette époque – pour l’échanger contre une coloration de cheveux. Pendant plus d’un mois, nous n’avons plus eu de sucre à la maison. Il a fallu attendre la livraison de l’aide humanitaire. Fond de teint et cicatrices B Bill Carter : Le 29 mai 1993 a été une journée de bombardements intense. Je me rappelle que durant les quelques jours avant et après le concours, il était difficile de se déplacer en ville. J’avais l’impression de ne faire que courir. Encore aujourd’hui, quand on demande à un habitant de Sarajevo quelle est la pire période de la guerre, il répond toujours que l’été 1993 a été le plus terrible. B Ana Kovacevic : Je suis arrivée un peu en avance. Il y avait de très forts bombardements ce jour-là mais malgré tout, la salle s’est progressivement remplie. Au final, il devait y avoir presque 500 personnes au Centre culturel bosnien. Le bouche-à-oreille, le seul moyen de communication dont nous disposions, avait bien fonctionné. B Hanka Paldum : En coulisses, les filles s’entraidaient pour se maquiller et se coiffer, elles échangeaient leurs habits et se donnaient des conseils. À cause de la guerre, certaines avaient des cicatrices et plaisantaient sur l’impossibilité de les cacher par manque de fond de teint. Il y a eu beaucoup de moments de rire et de larmes. B Ana Kovacevic : Avant le concours, il y a eu un discours disant que les femmes de Sarajevo étaient l’une des fiertés de la ville. photos : corbis |