42 Insermle magazine #42 Test génétiques « récréatifs » Juste un jeu ? Y a-t-il du Néandertal en vous ? D’où viennent vos ancêtres ? À quelles ethnies êtes-vous apparenté ? Vos gènes rendent-ils vos cheveux incoiffables ou votre palais sensible à l’amertume des asperges ? Avez-vous une forte susceptibilité génétique au surpoids ou à des maladies multifactorielles ? Des entreprises privées (23andMe, MyHeritage, LivingDNA, Gene by Gene, AncestryDNA…) proposent au monde entier de répondre à une liste hétéroclite de questions, qui enfle avec la science : il suffit de remplir un questionnaire en ligne, d’envoyer un échantillon de salive aux États-Unis et de payer 60 à 100 euros. En France, 100 000 à 200 000 personnes par an le feraient désormais, alors qu’il est interdit de réaliser, et même de solliciter, un test génétique sans ordonnance médicale, injonction judiciaire ou projet de recherche strictement défini. La loi serait-elle en retard, ou y aurait-il des risques tels que le jeu n’en vaudrait pas la chandelle ? Une sociologue décrit ici l’économie sous-jacente de ce marché, tandis qu’un éthicien évalue les possibles conséquences psychologiques, éthiques et sociales. Faudrait-il ouvrir une troisième voie, comme le prône enfin un chercheur en génétique : celle d’une recherche alimentée par une offre de tests « à la française » ? Propos recueillis par Nicolas Rigaud Pour en savoir plus S&S n°33, Grand angle, « Test génétiques, faut-il tout prédire ? », p.24-35 P.Malzac et M. Mathieu, Tests génétiques : illusion ou prédiction ?, Inserm/Le muscadier, coll. « Choc santé », 2017 opinions Propos recueillis par Françoise Dupuy Maury NON Catherine Bourgain sociologue, généticienne, directrice du Cermes3 (unité Inserm988, Villejuif), membre du comité d’éthique de l’InsermInserm/François Guénet Outre les résultats d’analyse et les réponses aux questionnaires, certaines entreprises conservent les échantillons de leurs clients et suivent leurs déplacements par téléphone ou leur navigation sur Internet. Elles constituent ainsi d’immenses bases de données génétiques, qui intéressent les laboratoires pharmaceutiques : les autorisations de mise sur le marché de médicaments sont de plus en plus conditionnées à la réalisation d’un test génétique, notamment pour déterminer pour quels groupes de patients les thérapies sont les plus efficaces. Cet été, 23andMe a ainsi vendu à GlaxoSmithKline une licence exclusive d’accès aux données de ses 5 millions de clients pour 300 millions de dollars. L’enjeu économique est là – une économie de la promesse : la valeur de ces données est très incertaine. Beaucoup y croient car l’ADN fascine. Ces tests véhiculent un discours qui réduit la parenté, l’identité et la santé à leurs dimensions génétiques. C’est oublier que ces notions sont aussi sociales. Dans nos sociétés, être père ne se résume pas à être « père biologique », et, le plus souvent, une simple déclaration de paternité fait foi ! Comparer mon ADN à celui de populations actuelles apporte une orientation géo-génétique amusante, mais pas une information précise sur mes ancêtres réels. Elle dépend en outre de la façon dont les bases de données sont constituées. Et en santé, les mutations génétiques ne suffisent souvent pas à préciser un risque de maladie. La probabilité de développer un cancer du sein chez des femmes porteuses des mêmes mutations BRCA1 diffère selon leur histoire familiale et individuelle. Les médecins généticiens ont une expertise clinique et scientifique qui permet de tenir compte de ces spécificités de contexte pour proposer une prise en charge personnalisée. Mais la marchandisation des données génétiques incite chacun à les consommer de façon « récréative » et « décontextualisée » au lieu de laisser les citoyens réfléchir à la place qu’il convient d’accorder aux bases de données génétiques dans notre société. |