8 Insermle magazine #41 MALADIE D’ALZHEIMER La caféine pour endormir Alzheimer ? Alzheimer : un mot qui fait peur. Cette maladie aux proportions pandémiques est aussi difficile à suivre qu’à traiter. Mais un nouveau type de thérapie pourrait voir le jour, grâce au blocage d’un récepteur de la caféine dans le cerveau. Trente-six millions de personnes atteintes dans le monde, plus de 900 000 malades en France, près d’un nouveau cas diagnostiqué toutes les trois minutes : la maladie d’Alzheimer est la troisième cause d’invalidité au monde chez les personnes âgées. Les symptômes sont variables, le diagnostic incertain et les causes mal comprises, ce qui complique le traitement des patients et les recherches sur le sujet. Malgré ces difficultés, David Blum et son groupe du Centre de recherche Jean-Pierre Aubert à Lille sont parvenus à dégager une piste d’importance pour les thérapies futures, en utilisant un dérivé d’une molécule très commune, la caféine. La clé du procédé est une molécule du cerveau, le récepteur A 2A ou A 2A R. Ce récepteur joue normalement un rôle important dans la régulation de la plasticité des synapses3, c’est-à-dire la capacité des neurones à interagir entre eux, un mécanisme indispensable à la mémoire. La maladie d’Alzheimer se traduit par une activation anormale de l’A 2A R qui désorganise cette plasticité, causant des troubles des fonctions cognitives. 4Synapse. Point de jonction entre deux neurones : l’un, présynaptique, d’où arrive l’influx nerveux, et l’autre, postsynaptique, où vont se fixer les neurotransmetteurs David Blum : unité 1172 Inserm/Université de Lille/CHRU Lille/Université d’Artois, LabEx DISTALZ 2E. Faivre et al. Front in Mol Neurosci., 12 juillet 2018 ; doi : 10.3389/fnmol.2018.00235 Émilie Faivre, UMR-S1172 actualités c’est fondamental Ces troubles sont également liés à deux types de lésions cérébrales : les plaques amyloïdes, une accumulation de molécules appelées peptides Aβ, qui forment des amas dans différentes régions du cerveau, et la tauopathie, une agrégation néfaste dans les neurones de protéines Tau habituellement impliquées dans l’architecture des fibres nerveuses. L’objectif serait donc de réduire ces deux lésions ou les dysfonctionnements neuronaux qu’elles causent. Or, la caféine a la propriété de bloquer les A 2A R, et s’était déjà montrée capable de mitiger chez l’animal les différents symptômes d’Alzheimer. Il avait aussi été observé dès 2016, par l’équipe lilloise, que l’inhibition des A 2A R réduisait la tauopathie. Pour parfaire la démonstration, l’objectif des chercheurs était donc d’étudier les effets d’un blocage de ces récepteurs sur les lésions amyloïdes. À cette fin, ils ont traité sur une k longue durée des souris génétiquement modifiées pour présenter les symptômes d’Alzheimer avec une molécule dérivée de la caféine qui cible les A 2A R, le MSX-3. Les résultats ne se sont pas fait attendre. « Le blocage du récepteur a abouti à une normalisation des performances mnésiques et à une réduction partielle des lésions amyloïdes, se réjouit David Blum. L’effet sur la mémoire s’explique par l’amélioration de la plasticité des synapses, entravée jusqu’alors par l’activité anormale des A 2A R. En revanche, nous ne savons pas encore pourquoi les plaques et la tauopathie sont affectées. » Et sur les êtres humains ? « Ce type de molécule a été testé cliniquement sur d’autres pathologies du système nerveux comme la maladie de Parkinson, avec des résultats intéressants et sans montrer d’effets secondaires majeurs, précise David Blum. Des applications humaines existent donc déjà, et nous pourrions imaginer une utilisation thérapeutique de ces molécules. » Mais il faudra faire preuve de patience : la prochaine étape est encore de clarifier la relation entre les A 2A R et les différents symptômes d’Alzheimer. Reste tout de même que la piste des A 2A R est désormais bien établie, et des essais cliniques pourraient avoir lieu d’ici quelques années. En attendant, vous pouvez continuer à boire vos expressos, et croisons les doigts ! Simon Bourdin Plan du cortex cérébral d’une souris présentant des lésions Alzheimer, avec une plaque amyloïde en vert, des astrocytes en jaune et les noyaux de neurones en bleu Adobe Stock |