42 Insermle magazine #41 Quotient intellectuel Sommes-nous plus bêtes que nos aïeux ? Les résultats des tests de quotient intellectuel des pays industrialisés n’ont cessé de progresser depuis les années 1930 jusqu’à la fin du xx e siècle. Cet « effet Flynn » — du nom du chercheur qui l’a identifié et corrélé au niveau de développement de chaque pays — est actuellement remis en cause : plusieurs études, dans les pays nordiques puis en Europe, et désormais en Asie, soutiennent qu’une baisse du QI est en cours. L’interprétation de leurs résultats fait débat. Serions-nous moins intelligents que nos parents ? Le monde moderne nous rendrait-il plus bêtes ? Et d’abord, avons-nous les moyens scientifiques de l’affirmer ? La thèse d’une dégradation de l’intelligence a servi, et sert encore, d’argument à une idéologie eugéniste et xénophobe ; comment lui répondre ? Et s’il s’agissait moins d’un défaut d’intelligence que d’un manque d’attention ? Trois spécialistes en psychologie, neurosciences et sciences cognitives prennent le temps de la réflexion. Propos recueillis par Nicolas Rigaud 2J. R. Flynn. « The Mean IQ of Americans : Massive Gains 1932 to 1978 », Psychological Bulletin, 1984 ; 95(1), 29-51 opinions Propos recueillis par Françoise Dupuy Maury NON Jacques Grégoire professeur de psychologie à l’université catholique de Louvain, Belgique L’effet Flynna été massif durant le xx e siècle : par rapport à la moyenne de 100 points en 1950, les Français ont presque gagné un point de QI par an jusqu’en 1970 ! Selon certaines études, ce progrès serait un peu moindre depuis les années 1990 : Bernt Bratsberg et Ole Røgeberg du Ragnar Frisch Centre for Economic Research à Oslo notent un déclin de 0,38 point par décennie sur 30 ans, ce qui, vu les incertitudes scientifiques, correspond plutôt à une stagnation. D’où vient cette atténuation de l’effet Flynn ? Sans doute en partie de difficultés méthodologiques : il est nécessaire de faire évoluer les tests de QI au fil du temps, de remplacer les images peu évocatrices (comme un téléphone à cadran pour un test destiné aux enfants) ou les mots devenus obsolètes. En comparant de nombreuses données aux États-Unis, nous avons montré qu’une telle mise à jour avait rendu le test plus difficile, et que l’effet Flynnétait vérifié à niveau de difficulté égal. Cela dit, est-il raisonnable d’imaginer une progression sans limite ? Edward Dutton de l’université d’Oulu en Finlande et Richard Lynnde l’université d’Ulster en Irlande du Nord l’ont fait pour extrapoler sur des données scientifiques, y compris les miennes, au nom d’une idéologie eugéniste et xénophobe : l’immigration importerait des gènes de moindre qualité ! C’est scientifiquement irrecevable, et pourrait conduire à interdire à certaines populations de se reproduire. Mais, comme le dit un proverbe boursier : « Même dans de bonnes conditions, les arbres ne montent pas jusqu’au ciel ! » Le progrès du QI est corrélé aux progrès de notre alimentation, de notre santé, de notre éducation. Or les enfants sont déjà stimulés par l’école, la culture sous toutes ses formes, mêmes les jeux. Et, dans nos pays industrialisés, les carences alimentaires sont rares, le saturnisme a quasiment disparu… Il est donc logique que l’effet des progrès récents soit désormais moins fort qu’auparavant. 2B. Bratsberg, O. R geberg. PNAS, 26 juin 2018 ; doi : 10.1073/pnas.1718793115 2E. Dutton, R. Lynn. Intelligence, 5 juin 2015 ; doi : 10.1016/j.intell.2015.05.005 UC LOUVAIN |