Cyril Frésillon/CNRS Photothèque Portrait « Ce n’est pas en améliorant la bougie que l’on a inventé l’ampoule électrique ! » Par cette citation attribuée au célèbre physicien Niels Bohr, Astrid Lambrecht, à la tête de l’Institut de physique (INP) du CNRS depuis juin 2018, résume sa conception de la physique, de même que l’esprit de sa politique scientifique. Et la physicienne développe : « La physique a pour but de découvrir les lois fondamentales de notre univers. En même temps, c’est une source inépuisable d’applications, et nombre de ses découvertes ont eu pour origine la réponse à des questions pratiques. » Elle ajoute : « Ce qui doit primer, c’est la curiosité ! » Qui, selon cette scientifique d’origine allemande, n’est jamais aussi bien éveillée que lorsque la physique devient cette formidable aventure collective où théoriciens et expérimentateurs travaillent de concert, explorant aussi bien les fondements de leur science que son interface avec les autres disciplines. Au départ, cette spécialiste reconnue de l’effet Casimir, l’une des manifestations les plus déconcertantes de la mécanique quantique, n’imagine pourtant même pas faire de la physique, et s’inscrit en première année de médecine à l’issue de ses études secondaires. « J’avais plus de goût pour la biologie et les sciences naturelles, plus concrètes, plus proches de la vie quotidienne », se souvient-elle. Un cours de physique « extraordinaire » en décide autrement : « J’ai découvert avec ravissement cette possibilité offerte par la physique de se poser des questions très fondamentales tout en allant au bout d’une interrogation », précise Astrid Lambrecht. Elle opte alors pour une réorientation au sein de l’Université d’Essen, en Allemagne, avant un séjour prédoctoral à l’Imperial College de Londres, en 1991. La future 40 Reflets de la Physique n°64 Astrid Lambrecht, la curiosité en partage Spécialiste de mécanique quantique, cette théoricienne proche de l’expérience dirige l’Institut de physique (INP) du CNRS depuis juin 2018. Elle y encourage une recherche où l’exploration des fondements de la physique, ses interfaces avec les autres disciplines et l’innovation se nourrissent mutuellement. Médaille d’argent du CNRS y découvre l’optique quantique, alors en pleine révolution, et plus généralement « l’étrange » mécanique quantique et ses problèmes « très ouverts, très difficiles, mais très intéressants ! » Après quoi, Astrid Lambrecht, recommandée par ses professeurs, rejoint le Laboratoire Kastler Brossel (LKB) à Paris, où elle effectue sa thèse de doctorat sous la direction d’Élisabeth Giacobino. Après un séjour postdoctoral dans le laboratoire de Theodor Wolfgang Hänsch, prix Nobel de physique 2005, à l’Institut Max Planck, à Garching, elle est recrutée par le CNRS en 1996. De retour au LKB, son goût pour les questions ardues pousse Astrid Lambrecht à s’intéresser à l’effet Casimir, du nom du physicien qui l’a prédit le premier, en 1948. Selon les calculs de ce dernier, deux plaques conductrices se faisant face exercent l’une sur l’autre une force attractive ayant pour origine ce que les physiciens appellent les « fluctuations du vide » (fig. 1). Celles-ci reposent sur l’idée qu’à l’échelle quantique, le vide n’est pas rien, mais un milieu qui, même en l’absence de toute matière, demeure agité de fluctuations quantiques irréductibles... L’idée de la physicienne : rendre tangible cette manifestation déroutante de la mécanique quantique. Comme elle l’explique, alors même qu’en ce début des années 2000, l’étude de l’effet Casimir connait un renouveau sur le plan expérimental, « avec Serge Reynaud, nous avons introduit un formalisme issu de l’optique quantique permettant de faire des prédictions dans des situations expérimentales à la fois réalistes et variées, notamment en tenant compte de la réflexion de la lumière forcément imparfaite des miroirs. » À la suite, la lauréate du Prix Aimé Cotton 2005 de la Société française de physique, en collaboration notamment avec Marc-Thierry Jaekel, poursuit des travaux très fondamentaux sur l’effet Casimir dynamique, selon lequel un miroir se déplaçant très rapidement dans le vide devrait émettre des photons « arrachés » à celui-ci. En parallèle, elle collabore avec des équipes expérimentales sur différents aspects concrets de l’effet Casimir, soit qu’il faille en tenir compte pour interpréter correctement les résultats d’une expérience de physique des particules, soit qu’il ait des implications dans le développement de composants nanotechnologiques. Car, pour Astrid Lambrecht, la finalité importe peu pourvu qu’il y ait toujours quelque chose de nouveau à apprendre et à partager. Décrivant son activité de chercheuse, elle évoque en effet spontanément l’importance pour elle des discussions avec ses pairs, notamment les doctorantes et doctorants dont elle a eu la charge. De même, celle qui a été directrice adjointe scientifique de l’INP entre 2016 et 2018, possède cette conviction d’appartenir à une communauté, non sans lien avec son choix de s’investir dans l’administration du CNRS. « C’est une façon de rendre à un établissement qui m’a accueilli et tant offert », précise-t-elle. Avec l’écoute comme méthode de travail : « La politique scientifique de l’INP s’appuie en premier lieu sur les remontées des laboratoires, détaille la successeuse d’Alain Schuhl, aujourd’hui directeur général délégué à la science du CNRS. Les chercheuses et les chercheurs sont de fait les mieux placés pour savoir où sont les questions intéressantes, les sujets qui comptent ou les problématiques qui montent. » |