» > les tertres, digues, canaux et bassins témoignent aujourd’hui de ces aménagements. Mais pendant longtemps, la densité de la couverture végétale rendait les prospections sur le terrain difficiles, et nous n’avions donc qu’une vision très partielle des implantations humaines de ce qui constituait pourtant l’une des régions les plus densément peuplées de cette époque [1]. Paysages et lasers Dans les années 1990, alors que la péninsule indochinoise sortait enfin de décennies de conflits et que la paix ouvrait au Cambodge des opportunités uniques, les archéologues se tournèrent à nouveau vers l’imagerie aérienne pour préciser la cartographie archéologique. Outre son intérêt pour la gestion de sites face à un développement rapide du tourisme, celle-ci constituait un outil indispensable pour l’étude du territoire à l’heure où reprenait le débat sur la théorie qui proposait de comprendre Angkor comme une vaste « cité hydraulique » dont l’ascension et le déclin étaient intimement liés à la gestion de l’eau. Malheureusement, les limites de la télédétection et les difficultés des prospections sous la forêt tropicale laissaient dans nos cartes archéologiques d’Angkor d’importantes lacunes, en particulier dans son cœur monumental densément boisé. Depuis une dizaine d’années, l’essor rapide du LiDAR (voir l’encadré, p.67), technologie qui s’était lentement développée depuis les années soixante, a permis de résoudre ce problème. Les instruments de balayage laser aéroportés offrent aujourd’hui la capacité de voir « à travers » la couverture végétale. Le principe est simple : des millions d’impulsions laser sont envoyées vers le sol, la mesure du temps de retour de chaque signal permettant alors de localiser précisément le point de réflexion dans un espace tridimensionnel. Même si les impulsions sont en grande majorité réfléchies par la végétation, le faible pourcentage qui passe dans les interstices des strates végétales et parvient au sol suffit pour créer des modèles remarquablement détaillés du terrain dénudé de la forêt. Il fournit, en quelques heures, de vastes levés topographiques que des décennies d’arpentage n’auraient pu prétendre offrir avec une telle précision. 66 Reflets de la Physique n°63 Des complexes urbains révélés En 2012, l’EFEO a rejoint un consortium composé de sept partenaires pour entreprendre le premier programme LiDAR archéologique en Asie, couvrant plusieurs centaines de kilomètres carrés du nord du Cambodge [2]. Cette expérience à grande échelle a constitué une étape importante dans l’histoire de la télédétection et a déclenché une forte émulation dans le monde archéologique, y compris au Cambodge même, où une seconde campagne d’acquisition porte aujourd’hui la couverture à plus de 2 000 kilomètres carrés [3]. Au-delà de la seule période angkorienne, ce sont plusieurs millénaires d’occupation humaine que ces données ont documentés. Elles nous fournissent de nouvelles clés pour suivre l’émergence et le développement des sociétés complexes qui s’épanouirent dans cette région, pour générer des modèles sophistiqués sur l’anthropisation du paysage et pour tester des hypothèses sur le déclin des royaumes et des empires. À ce jour, les lasers nous ont montré comment les zones monumentales n’étaient pas seulement des centres sacrés 1500 mflee%Veià : et cérémoniels, mais étaient en fait des zones denses et formellement planifiées au sein de complexes urbains de plus faible densité qui s’étendaient entre les temples bien connus et bien au-delà (fig. 1). Ces zones ne ressemblent pas à des « villes » au sens conventionnel, mais sont indéniablement urbaines, ce qui nous invite à repenser la définition même de l’urbanisme dans le passé. Presque invariablement, les populations qui ont construit des villes dans cet environnement tropical difficile l’ont fait d’une manière qui a profondément transformé le paysage naturel, souvent au détriment de leurs sociétés sur le long terme. Le LiDAR révèle en effet des transformations à l’échelle régionale, dans lesquelles de vastes zones forestières ont été converties en zones urbaines et agricoles. Avec des rivières entières détournées et des infrastructures hydrauliques de vaste ampleur qui bouleversaient l’environnement, les projets d’ingénierie massifs étaient difficiles à maintenir à terme et, en raison de leur durabilité, ils créaient une sorte d’inertie matérielle qui minait la capacité de ces civilisations à s’adapter aux changements sociaux et environnementaux. 1. Vue oblique de la cité royale Angkor Thom. Le Bayon, le temple qui marque le centre de la ville d’Angkor Thom, est aujourd’hui enveloppé par la forêt (en haut). Les données LiDAR donnent à voir le réseau urbain qui l’entourait (en bas), ainsi que l’enceinte du palais royal (au nord-ouest), dont l’essentiel des infrastructures étaient construites en bois, et ont disparu depuis longtemps. N |