Le succès exceptionnel de la sigillée, vaisselle de table en terre cuite de la période romaine, est en grande partie dû à la brillance et à la couleur rouge uniforme de sa couverte qui ont nécessité le développement de procédés techniques très performants. Dans cet article nous comparons les réalisations italiennes aux productions gauloises qui leur ont succédé, sous le regard de la science des matériaux. Nous montrons que l’étude des couvertes, en plus de permettre d’en comprendre la fabrication, a mis en évidence une évolution majeure de leurs propriétés physiques que l’on peut relier à une évolution de leur utilisation. Les termes en gras suivis d’un astérisque sont définis dans le glossaire, p.42. 38 Reflets de la Physique n°63 Procédés de fabrication et propriétés physiques des couvertes de poteries romaines : une approche physico-chimique multi-échelle Philippe Sciau (philippe.sciau@cemes.fr) et Jesse Groenen CEMES (CNRS et Université de Toulouse), 29 rue J. Marvig, 31055 Toulouse La céramique sigillée [1], ou Terra sigillata *, est une vaisselle de table emblématique de la période romaine. Fabriquée en grande quantité et de façon standardisée dans un nombre restreint d’ateliers, elle était distribuée sur tout le territoire romain. Les premières formes de sigillée avec des motifs en relief datent du 1er siècle avant J.-C., mais ce n’est que quelques décennies plus tard que se développe véritablement la sigillée de qualité avec la mise au point de cuissons en conditions oxydantes permettant l’obtention de couvertes * brillantes d’une couleur rouge uniforme. Les premières sigillées de qualité furent produites en Italie centrale à Arezzo vers le milieu du 1er siècle avant J.-C. et leur diffusion s’étend dès les années 40-30 avant J.-C. Ce fut un vecteur important de la romanisation en diffusant, à travers ses décors et son utilisation comme vaisselle de table, la culture romaine. La diffusion de la sigillée s’intensifie fortement avec l’extension du monde romain à la fin de la République et au début de l’Empire, et conduit à la mise en place de nouveaux centres de production, notamment dans le sud de la Gaule. La figure 1 donne un exemple de l’ampleur de la diffusion de la céramique élaborée dans l’un de ces centres de production, La Graufesenque, situé près de Millau (Aveyron) [2]. La couverte d’une sigillée En dehors de l’esthétique de ses décors (fig. 2), la qualité d’une sigillée est directement liée à l’éclat et à la couleur de sa couverte ou « engobe ». Cette dernière, d’une épaisseur de quelques dizaines de micromètres, se forme durant la cuisson par vitrification sous atmosphère oxydante d’une préparation argileuse riche en fer. Cette préparation est élaborée par lessivage et décantation d’une argile non calcaire chargée en potassium et naturellement riche en oxydes et/ou hydroxydes de fer. Ce procédé permet d’éliminer les matières organiques et de ne conserver que la partie fine, riche en minéraux argileux et en composés de fer. Mise en suspension dans l’eau, cette préparation est ensuite apposée sur le vase cru au pinceau ou, dans le cas des sigillées, par trempage du vase comme en attestent les marques de doigts observées sur les pieds de vases antiques. La plus faible granulométrie et la plus forte teneur en éléments alcalins (Na, K, qui abaissent la température de vitrification) de l’engobe permettent de le vitrifier sans vitrifier le corps du vase et ainsi sans induire une déformation de ce dernier. Toutefois, comme le corps des sigillées, appelé aussi la « pâte », était également façonné à partir d’une préparation à grains fins, riche en potassium (tableau 1), la différence de température de vitrification est faible et l’obtention de sigillées présentant une |