Depuis sa création jusqu’à son altération, la vie d’une œuvre d’art ou d’un objet archéologique s’inscrit au cœur de sa matière. L’enjeu des sciences du patrimoine est d’interroger cette matière sur l’activité des hommes, tout en préservant ces témoins de notre histoire. Retrouver les savoir-faire du passé, comprendre le choix des matériaux employés et déterminer l’origine des matières premières en sont les principales motivations. En révélant directement et sans dommages la composition élémentaire des matériaux anciens, l’analyse par faisceau d’ions réalisée à AGLAÉ (Accélérateur Grand Louvre pour l’Analyse Élémentaire) est parfaitement adaptée aux problématiques des sciences du patrimoine. 14 Reflets de la Physique n°63 Un accélérateur de particules fait parler les œuvres d’art et les objets archéologiques Thomas Calligaro (thomas.calligaro@culture.fr) et Claire PachecoCentre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) Palais du Louvre, 14 Quai François Mitterand, 75001 Paris Analyse par faisceau d’ions Regroupées sous le sigle IBA pour Ion Beam Analysis, les méthodes d’analyse par faisceaux d’ions sont une retombée inattendue de la physique nucléaire. Elles résultent de la conjonction, dans les années 1970, de trois opportunités : l’accès aux catalogues des niveaux d’énergie et des réactions des noyaux, la modélisation détaillée de l’interaction rayonnement-matière et l’invention des détecteurs à semi-conducteurs. Les méthodes d’analyse IBA exploitent les radiations (rayonsX, rayons γ et particules chargées) émises par une cible inconnue sous l’impact du faisceau de particules produit par un accélérateur, pour déterminer sa composition. L’énergie et le type des radiations émises permettent d’identifier les éléments présents et de les quantifier. Les particules incidentes sont des ions légers (par exemple protons 1 H +, noyaux de deutérium 2 H + ou deutons, noyaux d’hélium 4 He 2+) accélérés à quelques MeV (millions d’électronvolts), énergie optimale pour l’analyse des matériaux. La vitesse de ces ions est comparable à celle des électrons de cœur des atomes de la cible, maximisant le processus d’ionisation, et leur permet de surmonter la répulsion coulombienne des noyaux des atomes les plus légers pour induire une réaction nucléaire. La perte d’énergie linéique de ces ions est minimale et leur parcours dans la matière atteint plusieurs dizaines de microns (µm) (par exemple les protons de 1 MeV pénètrent à 40 µm dans un bronze et à 100 µm dans un verre). L’ion incident peut interagir avec la cible selon trois processus différents, schématisés sur la figure 1, et qui sont à la base des méthodes IBA [1]. Éjection d’un électron de cœur d’un atome de la cible, provoquant l’émission de rayons X caractéristiques. Analogue à l’analyse par fluorescence des rayonsX, cette méthode, nommée PIXE pour Particle-Induced X-ray Emission, permet de quantifier les éléments à partir du sodium avec une sensibilité qui peut atteindre quelques parties par million (ppm). Les particules incidentes sont généralement des protons de 3 MeV. Rétrodiffusion élastique par répulsion électrostatique d’un noyau de la cible. L’énergie des ions rétrodiffusés augmente avec la masse du noyau rétrodiffusant. Cette méthode, nommée RBS pour Rutherford Backscattering Spectrometry, permet d’identifier les éléments par leur masse et de les localiser en profondeur. Elle est très efficace pour caractériser des couches d’éléments lourds déposés sur un substrat d’éléments légers. Les particules incidentes optimales sont des ions 4 He de 3 MeV. |