Disparition 48 Reflets de la Physique n°62 Hommage à Yves Couder (1941 – 2019) Yves Couder s’est éteint à 78 ans le 2 avril 2019, entouré de sa femme Lorna et de ses enfants Jeanne et Julien. Ses obsèques ont eu lieu le 8 avril, en présence de nombreux amis et collègues. Docteur de l’Université de Paris, il a animé de 1965 à 2006 une équipe de recherche à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm. Il était, depuis 1985, professeur à l’Université Denis Diderot. Depuis 2006, il avait rejoint cette université et y exerçait ses activités de recherche au sein du laboratoire Matière et Systèmes Complexes. Il joua un rôle majeur dans la création et l’installation de ce nouveau laboratoire. C’est au travers d’expériences apparemment simples et d’une élégance stupéfiante qu’Yves Couder a pu réaliser des avancées scientifiques considérables, aussi bien en dynamique des fluides que dans des disciplines connexes, qui lui ont valu d’être reconnu très tôt comme un acteur majeur et un leader à l’échelle mondiale. De nouvelles voies originales ont ainsi été ouvertes par son équipe dans l’étude de la turbulence : lui et ses collègues ont les premiers proposé d’utiliser les films de savon pour étudier les propriétés de la dynamique des tourbillons et de la turbulence en deux dimensions. Ils ont ainsi mis en évidence expérimentalement la cascade inverse d’énergie prédite théoriquement. Cette analogie très féconde a ensuite inspiré plusieurs groupes aux États-Unis et dans d’autres pays européens. Ils ont également été les premiers à détecter et caractériser, dans un écoulement turbulent tridimensionnel cette fois, la présence de filaments tourbillonnaires de grande intensité. Ils ont pu montrer que ces filaments étaient responsables des explosions (bursts) de basse pression communément observées et qu’ils étaient reliés à l’intermittence des écoulements turbulents. Keith Moffatt à Cambridge appelle ces filaments «the sinews of turbulence», les nervures de la turbulence. Le montage expérimental était connu aux États-Unis sous le nom de French washing machine, la machine à laver française ! Tout un symbole ! La digitation de Saffmann-Taylor se réfère à la formation de doigts à l’interface entre deux fluides, lors du déplacement d’un fluide visqueux par un autre fluide moins visqueux. Yves Couder a pu montrer que l’application de perturbations dites singulières à la pointe du doigt est suffisante pour affecter le processus de sélection de la configuration du doigt. La morphogénèse et la croissance des plantes constituent également un domaine où son intuition créatrice s’est révélée remarquablement éclairante : l’organisation en spirales des plantes peut en effet s’expliquer à partir des suites de Fibonacci et du nombre d’or. Yves Couder a illustré le rôle joué par ces suites dans l’agencement des graines du cœur des fleurs de tournesol. Il a étudié par analogie la dynamique des textures produites par un assemblage de gouttes ferromagnétiques. Ceci a fourni une interprétation globale, là aussi très élégante, de l’organisation observée : le système tend vers une organisation en nombres irrationnels, car son évolution géométrique tend à lui faire éviter les nombres rationnels. Au cours de ces dernières années, Yves Couder s’est intéressé à la dynamique de gouttes rebondissant sur une interface liquide animée de mouvements oscillatoires verticaux. Cette configuration a permis de mettre en évidence un couplage dynamique entre les mouvements de la goutte et le champ d’ondes de gravité qu’elle produit. Cette dualité ondes-particules en mécanique des fluides a conduit Yves à la découverte d’une magnifique analogie macroscopique de l’expérience du photon unique de G.I. Taylor et de l’expérience de diffraction d’un électron de de Broglie. Des régimes chaotiques ont également été identifiés. Ces recherches pionnières ont suscité toute une série de travaux dans leur sillage, à l’instar de John Bush au département de mathématiques du MIT. La créativité, l’élégance, mais aussi la simplicité et la modestie ont permis à Yves de rassembler autour de lui des chercheurs brillants qui, en quelque sorte, constituent aujourd’hui une École Couder de physique macroscopique, profondément inspirée par son regard sur les hommes et les choses. Yves Couder a reçu de nombreuses distinctions, dont le prix de Mécanique des fluides de l’European Mechanics Society en 2012. La citation associée à ce prix résume parfaitement ses recherches : For experiments in fluid mechanics which are novel, elegant, deep and provocative. C’est donc à plus d’un titre qu’il fut élu à l’Académie des sciences en 2013, dans la section des Sciences mécaniques et informatiques. Ses contributions aux travaux de l’Académie étaient fidèles à son approche, hors des sentiers balisés et allant toujours droit à l’essentiel. Yves Couder laisse dans notre communauté un grand vide, mais aussi une lumineuse source d’inspiration... Patrick Huerre Académie des sciences et CNRS |