Les quasi-particules d’un liquide de Fermi se classent en deux catégories : des quasi-électrons d’énergie positive, qui occupent des états vides au-dessus du niveau de Fermi, et des quasi-électrons d’énergie négative, soustraits d’états occupés en dessous du niveau de Fermi (fig. 2a). Alternativement, on peut considérer ces lacunes de quasi-électrons comme la création de « quasi-trous » dans la mer de Fermi. Cette description des excitations d’un métal fonctionne aussi pour les semiconducteurs, qui sont caractérisés par une bande interdite – ou gap spectral – autour du niveau de Fermi. Comme un quasi-trou correspond à l’absence d’un quasi-électron, il a une charge opposée à celle de l’électron. En outre, un quasi-électron et un quasitrou peuvent s’annihiler : c’est un tel processus qui produit la lumière des diodes semi-conductrices électro luminescentes. De même que le positron est l’antiparticule de l’électron, le quasi-trou est l’antiparticule du quasi-électron. Il arrive aussi que les quasi-particules pertinentes ne soient plus des fermions, mais des bosons. C’est le cas des magnons dans les isolants magnétiques. En revanche, il existe des situations où les quasiparticules ont des propriétés radicalement différentes de celles des électrons et des bosons. En présence d’un champ magnétique perpendiculaire à la couche, certains composés électroniques bidimensionnels présentent une phase caractérisée par une résistance électrique longitudinale (parallèle au champ électrique) nulle et une résistance transverse constante. L’effet Hall quantique entier, découvert par von Klitzing et qui lui a valu le prix de Nobel de physique en 1985, correspond à des plateaux de conductance (b) transverse qui sont des multiples entiers du quantum de conductance e 2/h ≈ 1/(25 813 W), où e est la charge élémentaire et h la constante de Planck. Cet effet peut être expliqué dans le cadre de la théorie du liquide de Fermi. Ce n’est pas le cas de l’effet Hall quantique fractionnaire qui correspond à des plateaux aux fractions p/q du quantum de conductance, dont la découverte et l’interprétation ont valu le prix de Nobel de physique à Störmer, Tsui et Laughlin en 1998. Laughlin a eu l’intuition que les quasiparticules de l’effet Hall quantique fractionnaire portent une charge électrique qui est une fraction de la charge de l’électron. Depuis, différentes expériences ont mis en évidence une telle charge fractionnaire. 6 Reflets de la Physique n°61 Quasi-particules de Majorana dans les supraconducteurs topologiques Un effort théorique et expérimental intense durant ces dernières années a permis de créer les conditions pour observer une nouvelle sorte de quasi-particules présentant certaines analogies, mais aussi des différences, avec les fermions de Majorana. En désaccord avec Albert Camus pour qui « mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde », nous allons voir que ces quasi-particules possèdent des propriétés encore plus fascinantes que celles envisagées par Majorana. Pour envisager la physique de Majorana, il faut trouver un système dans lequel les quasi-particules n’ont pas de charge électrique. Ceci peut être réalisé dans les supraconducteurs. La supraconductivité a été découverte en 1911 par Kammerlingh Onnes, qui a observé que la résistivité électrique de certains métaux devient nulle en dessous d’une température critique. Il a fallu près d’un demi-siècle pour que ce comportement soit compris grâce à la théorie développée par Bardeen, Cooper et Schrieffer, récompensés par le prix Nobel de physique en 1972. Ils ont en effet expliqué que l’interaction des électrons avec les phonons, qui sont les vibrations du cristal, génère une interaction attractive entre les électrons. Celle-ci peut devenir plus importante que l’interaction répulsive due à leurs charges de même signe. Dès lors, l’énergie de l’état fondamental d’un métal peut être abaissée par la création de paires d’électrons, aussi nommées paires de Cooper, qui gagnent ainsi une certaine énergie d’appariement. Comme les paires de Cooper qui constituent l’état fondamental d’un supraconducteur sont des bosons, elles produisent des propriétés radicalement différentes de celles d’un métal. En particulier, elles forment un « condensat » libre de se déplacer sans résistance au sein du matériau. La création d’une quasi-particule au-dessus de ce nouvel état fondamental, par exemple en injectant un électron dans le supraconducteur, nécessite de fournir au minimum l’énergie d’appariement. De ce fait, comme dans les semi-conducteurs, un gap apparaît dans le spectre des excitations autour du niveau de Fermi (fig. 2b). Mais, contrairement aux semi-conducteurs, la formation du condensat de Cooper dans l’état fondamental s’accompagne d’une profonde modification de la nature des excitations : le processus d’appariement « superpose » les quasi-électrons et quasi-trous du métal au sens quantique (dans le même sens qui défie notre vision classique et permet au chat de Schrödinger d’être à la fois mort et vivant). Par conséquent, la charge des quasi-particules du supraconducteur n’est plus égale à la charge de l’électron (-e) ou du trou (+e), mais peut prendre une valeur arbitraire entre les deux. De plus, ces quasiparticules délocalisées obéissent à une symétrie électron/trou : chaque état à énergie E est accompagné d’un état à énergie -E. Il n’y a donc plus de distinction claire entre particule et antiparticule, comme dans un métal ou un semi-conducteur. On peut casser une paire de Cooper du condensat en créant deux quasi-particules, grâce, par exemple, à l’absorption d’un photon. Le processus inverse est également possible : deux quasi-particules d’un supraconducteur peuvent s’annihiler (en formant une paire de Cooper tout en émettant un photon), propriété qu’elles ont en commun avec les fermions de Majorana. Comme Monsieur Jourdain « (disant) de la prose sans (qu’il) en susse rien », il y a donc longtemps que les spécialistes de la supraconductivité jouent avec des objets similaires à ceux imaginés par le physicien italien. La situation est encore plus intéressante dans les supraconducteurs spatialement inhomogènes, en raison de leur taille finie ou de la présence de défauts. Dans de tels systèmes, en plus des états délocalisés dans tout l’échantillon et dont l’énergie excède le gap (représentés en orange et rose sur la figure 2b), des états localisés au voisinage des bords ou des défauts peuvent apparaitre dans la bande interdite. Tout comme les quasi-particules délocalisées des supraconducteurs, ces états localisés obéissent à la symétrie électron/trou : ils apparaissent à deux énergies opposées E et –E, et sont représentés en violet sur la figure 2b. Cette symétrie autorise alors l’existence d’un unique état à E = 0 (en violet foncé sur la figure 2b), qui correspond à une superposition quantique à poids égal d’électron et de trou. Ce sont de telles quasi-particules qui sont activement étudiées dans les nanostructures supraconductrices. Malheureusement, les états localisés d’énergie nulle n’existent pas de façon robuste dans les supraconducteurs standard, |