En France, le cout total des abonnements aux revues scientifiques dépasse amplement les 120 M € par an (dont 35 M € pour la licence nationale conclue avec Elsevier). Le nombre annuel de publications françaises étant de 80 000, transformer le modèle économique à budget constant prédit donc un APC de 1500 € par article, un montant « juste » qui demeure bien en deçà des 3800 € en moyens calculés à partir des dépenses annuelles mondiales d’abonnements (7,6 Md € ) et du nombre total d’articles (2 millions) par an [10]. Une bascule du système vers les APC est donc a priori faisable sans frais supplémentaires, car cette somme est déjà dépensée par l’État, et parait donc être un montant approprié pour une publication de bonne qualité qui préserve l’équilibre auteurs-éditeurs à long terme. Aujourd’hui, l’Agence nationale de la recherche s’engage pour les articles scientifiques qu’elle finance, mais le Plan national de la science ouverte [11], annoncé le 4 juillet 2018, montre clairement la volonté politique d’élargir l’adoption de ces mesures à l’échelle nationale. La création du Fond national pour la science ouverte, une des mesures phares, pourrait réunir de nombreux budgets répartis partout en France pour créer ainsi un fond unique destiné à la « publication en accès libre ». Par ailleurs, des « plafonds » d’APC doivent être négociés avec les maisons d’édition, en s’appuyant sur celles qui acceptent le cadre du Plan S. Néanmoins, le financement de ce plan, surtout dans sa phase de transition, reste la question-clé d’ici le 1er janvier 2020. La licence. Le Plan S propose une publication sans embargo et avec une licence CC BY. À part son financement déjà évoqué, le Plan S exige qu’un article scientifique soit publié sans période d’embargo, c’est-à-dire sur un site web ouvert et non payant, accessible immédiatement. Les auteurs ne cèderont plus les droits d’auteur, car ils resteront « propriétaires » de leurs travaux. Le contenu d’un article sera protégé par la licence Creative Commons BY [12], permettant un usage immédiat du contenu sous condition de créditer la source. La licence CC BY permet même un usage commercial, contrairement à la licence CC BY-NC qui est exclue explicitement par le Plan S, en reconnaissant ainsi le rôle clé de la science dans l’innovation et son potentiel de valorisation. La licence CC BY permettra aussi le dépôt immédiat de la version publiée dans une archive ouverte. Les éditeurs seront amenés à afficher leur politique sur les droits d’auteur et sur l’archivage sur le site de SHERPA/RoMEO [13]. Le fait de ne plus céder les droits d’auteur aux éditeurs est un « plus » fourni par le nouveau modèle d’accès libre, qui répond à un besoin réclamé depuis longtemps par les scientifiques. Le peer review et les archives ouvertes. Le Plan S préconise le dépôt dans les archives ouvertes pour l’archivage à long terme et pour leur potentiel d’innovation éditoriale. Depuis longtemps, les physiciens ont pris l’habitude de déposer leur preprint sur une archive ouverte bien en amont de la publication, en particulier sur ArXiv ou INSPIRE-HEP. Rappelons que les archives ouvertes existent avant tout pour disséminer et discuter les travaux préliminaires et/ou pour augmenter la visibilité institutionnelle (du CNRS, du CEA, de l’Université... via HAL), mais qu’elles n’ont jamais eu la vocation de remplacer les revues scientifiques. Les archives ouvertes ne sont pas dotées d’un processus de relecture par les pairs, processus aujourd’hui organisé par les maisons d’édition. Le peer review, voire 50 Reflets de la Physique n°61 une version future plus adaptée au 21 e siècle, est une condition sine qua non du processus de publication et ne doit pas faire l’objet d’une remise en cause. Le guide d’implémentation du Plan S confirme la nécessité de publier dans une revue ou sur une plateforme conforme aux conditions du Plan S, et exige le dépôt sans embargo dans une archive ouverte de la version publiée ou au moins de la version acceptée (le postprint). Par cette démarche, la cOAlition S reconnait l’importance du soutien professionnel fourni par les maisons d’édition, notamment l’organisation de l’évaluation par les pairs. Entre les lignes, elle encourage une plus forte coopération entre éditeurs et archives ouvertes, qui pourra, à terme, nous amener à de nouveaux modèles économiques de l’édition scientifique, comme éventuellement des épi-journaux qui s’appuieront sur des articles déposés dans les archives ouvertes. Soulignons que dans ce nouveau modèle chacun retrouve ses compétences : les scientifiques se consacrent à l’avancement de la science, et les éditeurs professionnels s’occupent de l’édition des articles. Réactions de la communauté scientifique Depuis la publication du Plan S, différentes communautés ont publié des commentaires, pétitions et suggestions. Depuis plus d’une décennie, sociétés savantes et autres acteurs lancent des discussions et s’interrogent sur certains points du libre accès qui doivent faire l’objet d’une vigilance particulière, comme le libre choix de publier, et le maintien de l’écosystème des revues avec la possibilité de création de nouvelles revues... Les physiciens accueillent plutôt positivement le Plan S, mais certains collègues, surtout issus de la communauté des chimistes, craignent la disparition du libre choix de publication par les chercheurs dans un paysage « Plan S compatible » [14]. Toute considération économique doit être modérée et animée selon le contexte scientifique, et les sociétés savantes sont un réseau d’acteurs dans ce domaine. La SFP estime que le rôle des sociétés savantes dans la validation de la qualité d’une revue doit rester primordial et ne peut en aucun cas être relayé aux agences de moyens. Une autre menace à prévoir dans la transition vers l’accès libre est l’irruption des revues « prédatrices ». Ces dernières offrent le libre accès de votre manuscrit à un APC « attractif ». Elles perturbent significativement l’écosystème de la publication, car elles sont dotées d’un peer review très léger, voire inexistant. Par conséquent, la création d’un répertoire général des revues « acceptables » doit accompagner le modèle de libre accès [15]. Conclusion Le plan S peut induire un véritable changement de paradigme. Bien sûr, ce plan est perfectible ; d’ailleurs, une enquête ouverte a permis de faire des retours et commentaires jusqu’au 1er février 2019 [16]. Bien que le calendrier prévu soit très serré, le plan S a le mérite de fixer un objectif d’ouverture universelle de la science publique à tous les acteurs de la recherche et de la société. La commission des publications de la SFP soutient le Plan S et encourage les instances exécutives et décisionnelles, dont les organismes scientifiques, à appuyer cette démarche qui, en France, devrait se dérouler sous l’égide du Plan pour la science ouverte. La mise en œuvre de ce plan en France devra s’effectuer de concert avec les sociétés savantes et les partenaires européens, en particulier l’Allemagne et les Pays-Bas, qui ont déjà pris des positions claires en la matière, ainsi qu’avec les autres protagonistes |