Pour paraphraser KarlMarx, « un spectre hante la physique : le spectre d’Ettore Majorana ». Près de 80 ans après sa disparition, les travaux du physicien italien continuent d’inspirer les chercheurs. Ainsi, dans son dernier article, Majorana prédit qu’une particule élémentaire dépourvue de charge électrique pourrait être sa propre antiparticule [1], en opposition avec la théorie de Dirac, pour laquelle une particule et son antiparticule sont distinctes. Plusieurs groupes ont récemment annoncé la découverte de quasiparticules de Majorana dans des nanostructures supraconductrices. En plus d’être leur propre antiparticule, ces quasi-particules possèdent des propriétés exotiques qui sont d’un grand intérêt pour le développement d’un ordinateur quantique topologiquement protégé (a). 4 Reflets de la Physique n°61 Le spectre de Majorana Des quasi-particules exotiques découvertes dans des nanostructures supraconductrices pourraient servir à construire un ordinateur quantique Manuel Houzet (1) (manuel.houzet@cea.fr), Julia Meyer (1) (julia.meyer@univ-grenoble-alpes.fr) et Pascal Simon (2) (pascal.simon@u-psud.fr). (1) Laboratoire Photonique, Électronique et Ingénierie Quantique (PHELIQS), Université Grenoble Alpes et CEA, 17 rue des Martyrs, 38054 Grenoble Cedex 9 (2) Laboratoire de Physique des Solides, CNRS, Univ. Paris-Sud, Univ. Paris-Saclay, Bât. 510, 91405 Orsay Cedex Des particules élémentaires aux quasi-particules de la physique des solides Les particules élémentaires décrites par la mécanique quantique sont classées en deux grandes familles : les fermions et les bosons. Les fermions, tels que les électrons ou les quarks dont sont constitués les protons et les neutrons, constituent la matière, tandis que les bosons, tels que les photons de l’électromagnétisme ou les gluons de l’interaction forte, sont les médiateurs des interactions. Chaque particule fermionique est associée à son antiparticule avec laquelle elle peut s’annihiler. Ainsi, lorsqu’un électron et un positron entrent en collision, ils peuvent disparaître en produisant deux photons. Selon le modèle standard qui est le cadre théorique pour comprendre la plupart des propriétés de la matière, les antiparticules sont distinctes des particules ; elles ont par exemple des charges électriques opposées. Ce n’est pas le cas pour les particules prédites par le physicien italien Majorana (fig. 1), depuis nommées « fermions de Majorana », qui sont leur propre antiparticule. L’absence de charge électrique est donc une condition nécessaire pour envisager qu’une particule élémentaire possède cette propriété. Des expériences sont en cours, par exemple dans le laboratoire souterrain de Modane, pour identifier si les neutrinos qui sont les seuls fermions élémentaires dont la charge électrique est nulle sont des fermions ordinaires ou de Majorana [2]. Leurs résultats auront des conséquences importantes en physique des particules, pour comprendre par exemple 1. Photo d’Ettore Majorana. (Source : wikipedia) Né en 1906, Majorana est un physicien italien qui a apporté des contributions théoriques majeures dans les neuf articles qu’il a publiés. Sa disparition mystérieuse en 1938 a inspiré de nombreux écrivains [dont Friedrich Dürrenmatt, Les physiciens (1962), et Leonardo Sciascia, La disparition de Majorana (1975)]. l’origine de la faible masse des neutrinos, ou en cosmologie pour expliquer la dissymétrie matière/antimatière de notre Univers. Mais, à ce jour, la nature des neutrinos reste inconnue. La physique des solides offre un terrain alternatif pour la découverte non pas de particules élémentaires, mais de « quasiparticules » aux propriétés exotiques. En effet, la plupart des propriétés de la matière proviennent des électrons, qui sont des fermions. Par contre, leur comportement |