Première femme à avoir accédé au rang de professeur titulaire au Massachussetts Institute of Technology (MIT), Mildred Spiewak Dresselhaus, ou simplement Millie pour la plupart de ses collègues, est l’exemple d’un engagement passionnel et infatigable pour la science en général, la physique en particulier, et pour la reconnaissance de la place des femmes en science. Sa disparition le 20 février 2017 à l’âge de 86 ans, en pleine activité scientifique, a très profondément marqué les communautés de chercheurs engagés dans les nanosciences. Ses contributions à la compréhension du couplage entre propriétés électroniques, vibrationnelles et structurales, dans les différentes formes de carbone sont au centre du développement des nanomatériaux carbonés et de leurs applications. 36 Reflets de la Physique n°61 Une femme de science exceptionnelle : Mildred S. Dresselhaus Alfonso San-Miguel (1) (alfonso.san-miguel-fuster@univ-lyon1.fr) et Jean-Louis Sauvajol (2) (1) Institut Lumière-Matière (UMR5306), Université Claude Bernard Lyon 1, 69622 Villeurbanne (2) Laboratoire Charles Coulomb(L2C), Université de Montpellier, CNRS, 34095 Montpellier Des débuts difficiles Le moins qu’on puisse dire est que pour Millie, l’enfant née en 1930 à Manhattan, rien ne laissait présager une brillante carrière scientifique. La scolarité de Mildred Spiewak, fille d’une famille d’immigrés juifs polonais arrivée en Amérique lors de la grande dépression, démarre dans la pauvreté, dans un quartier défavorisé du Bronx. C’est en partie grâce à ses talents de violoniste, qu’à l’âge de seize ans elle obtient une bourse au mérite qui lui permettra d’intégrer Hunter College à Manhattan en 1947. Elle qualifie cet évènement comme le plus important de sa vie, celui qui lui a permis de quitter « le désordre sordide dans lequel j’avais grandi ». Il n’est pas surprenant que Millie ait toujours souligné combien il était important de donner accès à une bonne éducation aux jeunes de toutes conditions. La vie de Mildred Spiewak prend donc un vrai tournant dès son arrivée à Hunter College. Dans cette institution elle suit les cours de physique moderne de Rosalyn Yalow, physicienne nucléaire et future prix Nobel de médecine (en 1977), qui l’encourage à poursuivre des études de physique. Ses lettres de recommandation lui permettent de passer une année à l’Université de Cambridge, UK, en 1951 et une autre à Harvard. Rosalyn Yalow conseilla et encouragea Millie pendant plusieurs années, un exemple que cette dernière poursuivra durant toute sa carrière à l’égard de nombreuses jeunes physiciennes. En 1953, à l’âge de 22 ans, Millie rejoint l’Université de Chicago où elle suivra le cours de physique quantique d’Enrico Fermi, une rencontre fondamentale, dont elle dira qu’elle l’amena à penser comme une physicienne. En 1958, Millie défend dans cette même université sa thèse sur la supraconductivité sous forts champs magnétiques, travail qu’elle a dû mener avec une grande autonomie. En effet, son directeur ne prit connaissance de ses travaux que deux semaines avant sa soutenance car il considérait que, dans les sciences, il n’y avait pas de place pour les femmes. De fait, elle put mener ses travaux de recherche grâce à un excédent d’équipements scientifiques laissés à l’abandon après la Seconde Guerre mondiale et qu’elle rénova pratiquement sans cout additionnel. Matériaux à base de carbone et spectroscopie Raman Millie et son mari, Gene Dresselhaus, physicien théoricien qu’elle rencontra pendant sa thèse, rejoignent en 1960 le Massachusetts Institute of Technology (MIT) à Boston, un des seuls établissements universitaires américains à avoir une politique d’embauche de couples scientifiques. L’intérêt de Millie pour les systèmes carbonés démarre très tôt après son arrivée au Lincoln Laboratory du MIT. En effet, le responsable de son département pense qu’avec la théorie BCS (Bardeen-Cooper- Schrieffer) de la supraconductivité ce |