Le débouchage d’une bouteille de champagne permet de revisiter la physique des changements de phase qui accompagnent la détente adiabatique du volume de gaz sous pression dans le col de la bouteille. On s’intéresse ici aux phénomènes de condensation qui apparaissent dans le sillage du bouchon qui saute, en fonction de la température de ladite bouteille. Pour les bouteilles stockées à 20 °C, un panache bleu azur apparait dans le col de la bouteille et dans le sillage du bouchon qui saute. Il s’évanouit au bout de quelques millisecondes. On montre que ce panache bleu est la signature de la transformation en cristaux de neige carbonique et par nucléation hétérogène, de la vapeur de dioxyde de carbone présente dans le col de la bouteille. 32 Reflets de la Physique n°61 Hétéro-nucléation de cristaux de neige carbonique au débouchage d’une bouteille de champagne Gérard Liger-Belair (gerard.liger-belair@univ-reims.fr) et Daniel Cordier Équipe Effervescence, Champagne et Applications Groupe de Spectrométrie Moléculaire et Atmosphérique (UMR CNRS 7331), Université de Reims Champagne-Ardenne, 51687 Reims En moyenne, ce sont près de dix bouchons de champagne qui sautent chaque seconde à l’échelle du globe ! Et ce chiffre explose le jour de la Saint-Sylvestre. Le phénomène de condensation qui accompagne le débouchage d’une bouteille de champagne froide a déjà été décrit dans la littérature scientifique [1-3]. Nous avons néanmoins souhaité le revisiter à l’aide d’une caméra rapide, afin d’examiner en détail le rôle de la température du champagne. Pour ce faire, nous disposions de trente bouteilles de champagne rosé. 48 heures avant de réaliser nos observations, trois lots de dix bouteilles furent stockés respectivement à 6, 12 et 20 °C. La figure 1 illustre les phénomènes de condensation qui surviennent au voisinage du bouchon qui saute, en fonction de la température de la bouteille. Au moment du débouchage, la détente du volume de dioxyde de carbone gazeux, initialement sous pression dans le col de la bouteille, s’accompagne d’une chute de sa température. Le nuage de gaz qui se détend refroidit l’air ambiant et la vapeur d’eau qu’il contient. En se refroidissant, la vapeur d’eau se condense sous la forme d’un brouillard de minuscules gouttelettes. C’est la diffusion de la lumière ambiante par ces gouttelettes – de façon quasi isotrope dans l’espace et pour toutes les longueurs d’onde du spectre visible – qui confère au panache de condensation une teinte blanchâtre. Ce mode de diffusion de la lumière, lorsque la taille des objets qui diffusent est comparable ou supérieure aux longueurs d’onde de la lumière ambiante, correspond au régime de Mie. Cette description est bien conforme à ce que l’on peut observer lors du débouchage des bouteilles stockées à 6 et à 12 °C (figs 1a et 1b). Cependant, dans le cas de la bouteille stockée à température ambiante, pourquoi le nuage de condensation apparait-il directement dans le goulot de la bouteille et pourquoi est-il bleu azur et non pas blanc (fig. 1c) ? La clé de l’énigme se trouve dans la relation qui existe entre la température des gaz qui se détendent au moment du débouchage et la température initiale de la bouteille. La pression dans une bouteille augmente avec sa température Suite à une seconde fermentation alcoolique en bouteille close (la prise de mousse), les vins de Champagne se chargent en dioxyde de carbone (CO 2). En effet, tout comme l’éthanol, le CO 2 est un sousproduit de la transformation des sucres par les levures. Conformément à la loi de Henry, la concentration c L de CO 2 dissous dans le vin est proportionnelle à la pression partielle P B de CO 2 dans le col de bouteille : c L = k H P B (1), où k H est la constante de Henry du CO 2 dans le vin. Dans une solution aqueuse composée à près de 87% d’eau en volume, comme le champagne, le CO 2 est très soluble. La constante de Henry du CO 2 y est d’environ 1,5 g/l/bar à 20 °C, alors qu’elle n’est que de l’ordre de 20 mg/l/bar pour l’oxygène, par exemple. Or, la dépendance exponentielle en température de la constante de Henry d’un gaz en solution aqueuse induit une très forte sensibilité de sa solubilité avec la température (plus la |