Le nucléaire dans les scénarios mondiaux de transition énergétique Sandra Bouneau, physicienne, Université Paris Sud Les études de prospective sur la transition énergétique destinée notamment à réduire les émissions de gaz à effet de serre, reposent sur le développement de scénarios. Conçus pour évaluer quantitativement les impacts d’une politique énergétique sur le climat, ils représentent de réels outils d’aide à la décision. Cependant, les scénarios sont à manier avec prudence car ils sont construits sur des modèles complexes et utilisent un grand nombre d’hypothèses peu explicitées, qui relèvent parfois davantage de considérations politiques que techniques ou scientifiques. Pour endiguer le dérèglement climatique, la consommation des combustibles fossiles, qui représentent aujourd’hui 80% de l’énergie consommée dans le monde, devra décroitre drastiquement. L’outil scientifique utilisé pour analyser la production et la consommation d’énergie dans le futur est le scénario. Alors que la plupart des scénarios mondiaux (a) considèrent un déploiement massif des énergies renouvelables, la production d’énergie nucléaire peut s’arrêter d’ici 2050 ou bien être multipliée par un facteur 10 par rapport à aujourd’hui. Il s’agit donc de comprendre les raisons de la grande variabilité de la part du nucléaire dans les études prospectives. Construction des scénarios mondiaux de transition énergétique L’objectif d’un scénario est d’explorer les futurs énergétiques possibles en fournissant notamment une trajectoire de consommation et de production d’énergie jusqu’en 2050 ou au-delà. Le scénario se base sur un ensemble d’hypothèses et de grandeurs pour modéliser l’évolution socio-économique du monde (population, urbanisation, PIB, consommation…), elle-même couplée à des modèles décrivant l’évolution de la disponibilité des sources d’énergie, du cout des technologies et de leurs performances. De plus, une grandeur donnée – par 46 Reflets de la Physique n°60 exemple l’évolution du PIB – est tantôt une hypothèse, tantôt un résultat de la modélisation. Dans la plupart des scénarios, le système de production énergétique est optimisé pour satisfaire à tout instant la demande d’énergie au cout le plus bas. Le cout d’une technologie est donc une donnée d’entrée dont la valeur au cours du temps détermine sa part dans le mix énergétique. Un scénario visant un fort déploiement des nouvelles sources renouvelables électriques (éolien, photovoltaïque) fait l’hypothèse d’une réduction des couts par rapport à aujourd’hui pouvant aller jusqu’à un facteur 10. À l’inverse, une technologie considérée comme peu souhaitable pour satisfaire la demande future, d’un point de vue sociétal ou climatique, a un cout artificiellement augmenté afin de ne pas émerger significativement dans le mix énergétique futur. Sans objectif quantitatif préalablement fixé, les scénarios sont dits « tendanciels ». Selon les hypothèses et les paramètres choisis, la consommation d’énergie en 2050 peut être augmentée de 20% ou multipliée par un facteur 3 par rapport à celle d’aujourd’hui. Lorsqu’un objectif est fixé à un horizon donné, par exemple la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) d’un facteur 2 dans le monde d’ici 2050, le scénario s’emploie à décrire une trajectoire pour l’atteindre sous l’effet de contraintes et d’hypothèses supplémentaires. Il existe une multitude de scénarios dans la littérature scientifique, complexes à appréhender, ce qui rend leur analyse comparative difficile voire impossible. Un scénario n’a pas vocation à être prédictif mais à transcrire, au travers d’un ensemble d’hypothèses et de valeurs attribuées aux grandeurs économiques et technologiques, une trajectoire énergétique. S’il sert parfois à éclairer le débat et à alimenter la réflexion en amont des décisions, il est souvent relégué au statut d’instrument destiné à asseoir et avaliser des choix déjà définis. Prise en compte de la contrainte climatique dans les scénarios mondiaux En intégrant des modélisations du climat, certains scénarios peuvent également fournir des évolutions de concentration de GES jusqu’en 2100. Sur la base de plusieurs centaines de ces scénarios, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a défini quatre profils de référence d’évolution de concentration de GES (Representative Concentration Pathway, ou RCP). Ces profils donnent lieu à quatre valeurs de flux d’énergie supplémentaire reçu en moyenne par m² de surface de la Terre et causant son réchauffement (« forçage radiatif »). La valeur la plus basse, 2,6 W/m 2, induit |