Tribune libre Alerte aux conférences prédatrices ! Quelques traces électroniques laissées dans le monde académique suffisent pour recevoir des sollicitations à publier article ou « numéro spécial » dans un journal inconnu ou pour être « invité » à une conférence lointaine. Le gâchis induit par ces journaux et conférences « prédatrices » n’est pas seulement financier. Fréquemment, des collègues trop peu vigilants se retrouvent à des « conférences » ineptes. D’où cette mise en garde. Les journaux prédateurs Lorsque les journaux scientifiques étaient imprimés, le client était un bibliothécaire, lui même à l’écoute des demandes des scientifiques. La naissance d’une nouvelle revue dépendait du choix d’une communauté. Depuis, une économie nouvelle est apparue, où l’auteur paie pour publier en ligne. Si certains de ces journaux sont incontestables (par exemple Phys. Rev. X), d’autres [1, 2] ne fournissent pas, malgré leurs dires, l’indispensable critique par les pairs. Ils accueillent couramment « résultats » infondés, sans originalité, et purs plagiats. C’est un bibliothécaire, Jeffrey Beall, qui, notant l’éclosion incontrôlée de ce type de revues en ligne, a trouvé l’expression « revue prédatrice ». Soumettre un travail scientifique original à une revue nouvelle s’avérant prédatrice est rare, mais cauchemardesque. Lorsque l’auteur découvre que la publication sera « invisible », le retrait est impossible, ou autorisé seulement au prix d’un supplément extravagant : le « copyright », exigé très en amont, a verrouillé le processus. En fait, la cible commerciale de ces journaux prédateurs est le « tiers-monde » scientifique, où disposer d’une liste de publications à apparence « internationale » est bénéfique. Les conférences prédatrices Les conférences prédatrices [2-5], plus récentes, sont aussi une conséquence de l’Internet et de la gratuité de l’adressage électronique. Elles « vendent » de même des rencontres fourre-tout, sans contrôle scientifique, souvent d’apparence périodique, et sont organisées par de prétendues sociétés « savantes » ou « Académies ». L’objectif est d’attirer des participants payants : les chercheurs sont gratifiés d’un statut d’« orateur invité » (payant) et, à la clientèle spontanée, on promet la gloire d’une sérieuse sélection (« au moins deux ou trois rapporteurs ») , là où toute soumission payée sera acceptée. Les frais d’inscription augmentent pour être contributeur plutôt qu’auditeur, et plus encore pour des présentations multiples. On y invente la « présentation virtuelle » : l’envoi d’une vidéo suffit à être considéré comme « participant ». De plus, pour démultiplier le nombre d’« orateurs », on multiplie les sessions parallèles. Alors que la nécessité d’actes décline depuis l’échange instantané d’informations, ces conférences persistent à en éditer. Allier tourisme et « publication » (surtout, hélas, dans de vraies « éditions savantes ») est un argument de vente séducteur. 44 Reflets de la Physique n°58 Identifier ces rencontres, à l’affluence variable, est presque un jeu d’enfant : titre grandiose («N th International Conference»), thématiques attrape-tout, comité pléthorique et peu identifiable, incluant beaucoup d’institutions « exotiques », voire de pure invention [5]. Très longtemps, le programme est « en construction ». Des éditions précédentes, ne restent que de jolies photos, garantissant que l’événement a eu lieu. Un même lieu peut réunir des conférences diverses, qui fusionnent in fine, d’où des interventions et un public totalement hétéroclites. Repérer ces jumelages ne peut se faire qu’avec les sites de l’industrie touristique, faisant la publicité (gratuite) des conférences de toute nature. Ces parodies de conférence sont nombreuses en Asie, mais France et Europe ne sont pas épargnées. Qui assiste et qui organise ? Comme pour les journaux prédateurs, la clientèle principale est issue de régions périphériques. Des collègues scientifiquement marginalisés peuvent aussi y « publier » leurs élucubrations autour des grandes théories [6]. Étonnamment, il est fréquent que des collègues de bon renom se laissent abuser par le titre de « conférencier invité » (fig. 1). À leur décharge, l’annonce prétendait à la participation (non confirmée) de célébrités, ou le « Comité » avait été étoffé avec des CVs volés (fig. 1). Certains chercheurs reconnaissent qu’ils auraient pu être plus méfiants (fig. 1) ; d’autres osent plaider : « On sait bien que les invitations, c’est toujours par copinage. » L’intervention de ces collègues, si travaillée soit-elle, sera sans impact face à un public disparate et médiocre. Les organisateurs réels, bien moins nombreux que le « Comité » fantôme, sont à l’image du public : universités obscures, orateurs dits « invités » ou « pléniers » qui ne sont que « enseignants associés » ou pas encore docteurs. On peut même identifier une poignée d’habitués, auteurs de «keynote talks» répétitifs. Quelques collègues de France ou d’Europe, qui passent pour d’honnêtes spécialistes, se complaisent à « éditer », hors de leur champ disciplinaire, des « Actes » de ces rencontres. Ces activités peu reluisantes seront inconnues des collègues proches. Pour ces imprudents, le bénéfice matériel n’excède sans doute pas un séjour indu, pas toujours exotique. Faut-il croire que c’est pour l’entourage (famille, collègues d’autres disciplines...) que ces participations rehaussent le prestige social d’une carrière terne ? |