contrôle de ce qu’il aura dit. Il n’existe en effet aucun droit de relecture, et il appartient au seul journaliste de ne pas trahir les mots ou le message prononcés par le scientifique. L’après-midi débutait sur une troisième table ronde, intitulée « Médias numériques : comment sont créées et vérifiées les informations ? ». Elle rassemblait Pierre Kerner (Café des Sciences), Florence Porcel, créatrice d’une chaîne YouTube (La Folle Histoire de l’Univers), et Didier Pourquery, directeur de rédaction de The Conversation France. Ces médias, de natures différentes, sont cependant tous confrontés au problème du contrôle de l’information. Un blog, tel que celui du Café des Sciences, permet toujours la publication d’un correctif lorsqu’une erreur est découverte. La participation active de scientifiques travaillant en réseau permet un travail rigoureux de vérification de l’information. Tel n’est pas le cas des vidéos publiées sur YouTube, dont le contenu n’est évidemment pas vérifié par l’hébergeur. Le contrôle de l’information n’appartient alors qu’à l’auteur de la vidéo. Florence Porcel s’appuie sur une collaboration avec des scientifiques, qui lui permet de vérifier l’information qu’elle diffuse, et mentionne toujours, au bas de ses vidéos, les sources utilisées. The Conversation France rédige, en langue française, une lettre électronique quotidienne et des articles destinés à la presse écrite, dans tous les domaines, y compris scientifiques. Les auteurs des articles sont des chercheurs et des universitaires. La vérification de l’information est d’autant plus cruciale que le rythme de parution est soutenu, mais le travail en réseau permet de répondre à cette nécessité. On peut déplorer la publication d’articles, de revues, de vidéos, de blogs aux titres racoleurs, dont le sérieux peut être mis en doute et ne peut être évalué qu’en allant vérifier le contenu scientifique et les sources. On pourrait, certes, envisager la création de « labels de qualité » de l’information, mais qui risqueraient de se révéler à double tranchant. Quel que soit le média, il va de soi que tous ses contributeurs doivent être attentifs à la véracité de l’information diffusée. Mais dans le cas des médias numériques, dont l’interactivité est la caractéristique première, la confiance réciproque, la transparence, la discussion 36 Reflets de la Physique n°58 et le travail en réseau sont les conditions premières d’une bonne qualité de l’information. Le choix des experts, sur la base de leur domaine de recherche, est aussi une garantie. Deux conférences portaient sur les algorithmes : « Comment les algorithmes font-ils remonter des informations et permettent-ils de traquer la désinformation ? » La neutralité du Net a fait récemment l’objet de nombreux débats, principalement aux États-Unis. Cependant, l’objectivité de l’information obtenue sur Internet par le grand public fait déjà partie du passé. Alors qu’une recherche réalisée à l’aide d’un moteur, tel que Google, par exemple, faisait apparaître autrefois un classement de l’information en fonction de la popularité de la référence, il n’en est plus de même aujourd’hui. Les algorithmes utilisés par les moteurs de recherche retournent une information ciblée de façon individuelle, en fonction de l’historique des requêtes de l’internaute et de son profil. Cette nouvelle personnalisation, basée sur des considérations essentiellement publicitaires et commerciales, conduit, nous dit Francesca Musiani (Institut des sciences de la communication, CNRS), à une propagande individualisée qui n’est ni plus ni moins qu’un biais de l’information : on assiste ainsi à un enfermement idéologique de l’internaute, qui ne trouve, comme réponses à ses requêtes, que des informations qui confortent ses convictions. Les rumeurs sont ainsi propagées, puis industrialisées, car générant des revenus. Dans ce contexte, on ne sait plus différencier le vrai du faux, ni qui est à l’origine d’une fake news. Cette privatisation de la gouvernance est une véritable menace à la liberté d’expression, mais est aussi source de désinformation. Comment lutter contre cette tendance ? La réponse n’est pas simple. Il faudrait modifier les algorithmes de recommandation, créer des entraves aux revenus publicitaires, censurer les profils, faire œuvre de pédagogie auprès du grand public. Cette démarche ne peut être que concertée et impulsée par les différentes parties prenantes elles-mêmes. « Si l’on sait exactement ce qu’on va faire, à quoi bon le faire ? » C’est par cette citation que Gilles Dowek, chercheur à l’Inria, sème le doute sur la véracité de l’information, au-delà de la seule information scientifique. Cette citation, attribuée à Picasso, ne se trouve que dans les Conversations avec Christian Zervos, publiées en 1935 dans la revue Cahiers d’Art. Picasso faisait exclusivement référence à son approche de la peinture, selon laquelle l’artiste ne doit jamais connaître d’avance le résultat d’une œuvre commencée. Cette citation a cependant été abondamment utilisée dans d’autres contextes. Pire encore, la phrase, attribuée à Voltaire, « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire », a été écrite par Evelyn Beatrice Hall, dans un ouvrage publié en 1906, pour résumer sa pensée, mais n’a jamais été écrite par le philosophe. Et pourtant, cette phrase apocryphe est le plus souvent attribuée à Voltaire lui-même. Ces deux exemples montrent combien l’information peut être biaisée ou même créée de toutes pièces. C’est certes sur Internet et la toile qu’il est possible de trouver le plus souvent de fausses informations, mais les médias classiques n’échappent pas à la règle, comme le montrent les deux citations précédentes. Au-delà de la coupable désinformation, la manipulation des faits est un véritable péché, bien plus grave. L’exemple cité par Gilles Dowek illustre parfaitement cette technique : les défenseurs de la chasteté nient l’efficacité du préservatif masculin, puisque c’est dans les pays d’Afrique, où les États-Unis envoient le plus de préservatifs, que l’épidémie de SIDA fait le plus de ravages ! ! Il n’existe malheureusement pas d’algorithme permettant de vérifier la véracité des faits ou des informations. On pourrait en imaginer un permettant de détecter une logique défaillante, comme dans le cas précédent, mais il n’existe pas encore. La seule façon, aujourd’hui, de détecter une fausse information est d’analyser les arguments avancés. On trouve encore malheureusement trop souvent des arguments du type « Tout le monde dit » ou, pire, « Il y a un expert qui dit ». Il faut bien insister sur le fait que la vérité scientifique n’est pas une opinion. Les deux dernières conférences de la journée abordaient « la question de l’attitude à adopter face à une information erronée ». Jean-Marc Bonmatin, du centre de biophysique moléculaire du CNRS, se |