Fournir de l’eau potable à tous et à moindre prix est un défi auquel fait face l’humanité. Les techniques actuelles pour dessaler l’eau de mer reposent sur le principe de la « passoire » pour séparer le sel et les déchets de l’eau, mais cette approche connaît plusieurs limites. Nous nous sommes alors inspirés du rein humain, qui filtre l’urée de l’eau d’une façon radicalement différente : le secret réside dans sa géométrie en U qui sert d’échangeur salin. Après une preuve de concept, nous développons actuellement des systèmes inspirés du rein humain pour filtrer l’eau. Ce travail fait partie de la thèse de Sophie Marbach, soutenue le 15 juin 2018. Les termes suivis d’un astérisque sont définis dans le glossaire, p.24. 20 Reflets de la Physique n°58 S’inspirer du rein pour filtrer l’eau, ou comment réinventer la passoire Sophie Marbach (sophie.marbach@lps.ens.fr) Laboratoire de Physique Statistique, UMR8550 CNRS, École normale supérieure de Paris, 24 rue Lhomond, 75231 Paris Cedex 05 Depuis une dizaine d’années, la désalinisation et le recyclage de l’eau ont connu de fortes avancées technologiques, notamment grâce aux progrès des scientifiques dans le domaine des membranes avec de très petits trous. Ces membranes semiperméables «high tech», dont les trous sont de dimension nanométrique, permettent de séparer les déchets et le sel de l’eau pure de façon très efficace par la technique d’osmose inverse, où l’on applique une pression sur la solution saline. Mais cette petite taille des trous limite le flux de liquide et facilite les obstructions. Nos recherches ont un objectif simple : trouver la meilleure « passoire » pour séparer le sel et les déchets de l’eau. Nous nous sommes alors intéressés à un autre système de filtrage : le rein humain. Le fonctionnement du rein humain Pour trier l’eau de l’urée*, le rein humain utilise un principe de fonctionnement complètement différent. Il s’appuie notamment sur des millions de sous-structures en parallèle, des tubes qui sont plus fins qu’un centième de millimètre (en diamètre intérieur), en forme de U, et qui s’appellent boucles de Henle (fig. 1-c). Cette forme surprenante est présente chez tous les mammifères, mais pas chez tous les vertébrés. D’autre part, le rein est capable de filtrer à très basse pression, typiquement 40 fois plus faible que les pressions qu’on utilise pour dessaler l’eau de mer. Enfin, le rein consomme en moyenne 100 fois moins d’énergie que les appareils de dialyse, qui servent à nettoyer le sang des patients souffrant d’insuffisance rénale. Et chaque jour, 200 litres d’eau circulent dans ces tout petits canaux (l’eau du corps est donc recyclée plusieurs fois par jour) et, en tout, seuls deux litres en moyenne sont éliminés. (Eh oui ! d’où les « pour rester en bonne santé, buvez deux litres d’eau par jour. ») Comment le rein fonctionne-t-il ? Lorsque nous mangeons, nous assimilons entre autres des protéines, des acides aminés, du sel, de l’eau. Nous cassons les grosses molécules telles que les acides aminés (contenus dans les protéines) pour faire des sucres, que nous utilisons comme source d’énergie pour vivre. Cette « digestion » est accompagnée de la production d’urée, une substance nocive qui contient des atomes d’azote. L’urée est éliminée par les reins (fig. 1-a et b). Mais, dans tout cela, le sel et l’eau doivent être majoritairement recyclés car ils sont vitaux pour d’autres organes, comme le foie. Le rein accomplit le défi de concentrer l’urée très fortement afin de recycler le sel et l’eau. Plus précisément, du sang – donc des globules rouges et blancs, mais aussi diverses molécules – arrive aux reins, portant avec lui l’eau, le sel et l’urée. Regardons la figure 2a. En arrivant au glomérule (G), le mélange est trié : seuls l’eau, le sel et l’urée peuvent entrer dans le grand tube représenté en couleur claire, qui s’appelle le néphron ; les globules rouges, les autres éléments cellulaires et les grosses molécules formant le sang sont majoritairement rejetés et demeurent dans les vaisseaux sanguins (en rouge et bleu sur la figure). La première partie du néphron c’est cette boucle en |