12 Reflets de la Physique n°56 1987-2007 : vingt ans de collaboration avec Pierre-Gilles de Gennes « Pour le progrès technique, quoi de mieux que de rapprocher la science et l’industrie ? », disait Pierre-Gilles de Gennes. Cette citation, souvent reprise aujourd’hui, était beaucoup moins reconnue il y a trente ans lorsque nous commençâmes avec le futur prix Nobel, membre de notre conseil scientifique, une collaboration qui dura jusqu’à la veille de sa disparition. La rencontre avec Pierre-Gilles était une évidence pour notre groupe, compte tenu de sa connaissance encyclopédique de la physique, et de la science en général, mais aussi de son goût pour les applications. Il développa d’ailleurs largement les interactions entre les laboratoires de l’ESPCI et l’industrie. Nos chercheurs ont bénéficié par dizaines des conseils de Pierre-Gilles de Gennes, de ses analyses pointues et sans concession, directement dans les laboratoires, devant les résultats et les expériences. Les quelques exemples qui suivent illustrent cette relation exceptionnelle. Au niveau du magnétisme, il nous aida à comprendre pourquoi les aimants samarium-cobalt, puis néodymefer-bore possédaient des propriétés magnétiques aussi exceptionnelles, via la combinaison des anisotropies, structurale liée à une structure quasi-2D, et magnétocristalline née des interactions magnétiques entre la terre rare et l’élément de transition. Ceci permit de définir les compositions optimales, permettant de stabiliser les propriétés magnétiques, champ coercitif et densité d’énergie magnétique, en particulier en température via des dopages appropriés. Ces aimants ont permis le développement exponentiel des moteurs électriques miniaturisés. Sur les supraconducteurs à haute température critique, les connaissances théoriques de Pierre-Gilles furent un élément clé dans la définition des compositions et morphologies optimales (avec, par exemple, l’analyse du rôle des joints de grains sur les courants critiques). Malheureusement les performances des céramiques, malgré des progrès considérables, ne furent pas suffisantes pour assurer un développement à très grande échelle des applications. Dans le domaine des pigments, il nous orienta à l’époque vers le Laboratoire d’Optique des Solides de Paris, grâce auquel nous comprîmes comment définir par la théorie (diffusion de Mie, milieux effectifs...) les morphologies des pigments pour en obtenir le meilleur pouvoir colorant dans les peintures et les plastiques. Car Pierre-Gilles était aussi d’un grand réalisme, n’hésitant pas à nous mettre en contact avec les meilleurs spécialistes, chaque fois que nécessaire. Évidemment, une introduction de sa part était le gage d’un excellent accueil scientifique ! Pour le renfort des matériaux, c’est bien sûr grâce à son intérêt pour la physique de la matière molle et des milieux complexes qu’il nous aida à comprendre les effets dynamiques dans les polymères et élastomères chargés, mais aussi les phénomènes de mouillage et démouillage. Ceci nous permit d’une part de développer des gammes de silicones et de thermoplastiques chargés à haute performance, mais aussi de mettre au point des silices de haute dispersibilité pour le renfort des caoutchoucs, en étudiant les relations entre la morphologie des silices et les propriétés mécaniques de l’élastomère. Enfin, c’est en nous aidant à créer à Pessac le Laboratoire du Futur, le « LOF », que Pierre-Gilles apporta sa dernière contribution, majeure, à l’évolution de nos outils et méthodes de recherches. Nous avions souvent échangé début 2000 sur l’importance de pouvoir multiplier les essais pour tester les idées nombreuses des chercheurs, et aller plus vite vers les développements. Mais nous voulions aller au-delà de la simple « combinatoire », en essayant de coupler l’expérimentation à haut débit avec une vision scientifique de la conduite des essais, pour mieux cibler les compositions optimales en formulation des fluides complexes ou en science des matériaux, ou les bonnes conditions opératoires de la réaction chimique, pour l’acquisition rapide des données de base (cinétiques ou thermodynamiques) de nos procédés. L’idée fut alors de combiner dans un projet commun robotique et microfluidique, en s’inspirant pour cette dernière de ce qu’avaient lancé les biologistes. Ce croisement de compétences fut déterminant dans la mise au point de nos outils. Il ne fut pas évident d’instaurer de telles méthodes, faisant appel aux techniques et compétences de microélectronique, automatique, robotique, statistiques, modélisation, etc., dans un monde de chimistes ! Le projet fut précisé, en particulier via la création d’une unité mixte avec le CNRS et l’Université de Bordeaux, qui étudie la physique des écoulements en milieu très confiné – et |