Notes de lecture Anti-dictionnaire de physique Daniele Vegro - Belin, collection Science à plumes, 2016, 368 p., 22 € Abécédaire citoyen des sciences Marie-Françoise Chevallier-Le Guyader - Éditions Le Pommier, 2017, 364 p., 22 € Deux abécédaires de science d’un genre très différent viennent de paraître : ils présentent chacun la science sous un jour inattendu, fournissant des informations fort bien vulgarisées, mais aussi une vision critique en regard des attentes des citoyens. C’est un plaisir de l’esprit de feuilleter ces deux ouvrages et de se laisser arrêter, au hasard d’un billet, pour profiter des rencontres avec les idées qui foisonnent. Daniel « Vo-gr) Anti- DicTi.Q.Nna[re _ciu.]qi. qubécédftire citouen, des scienresrn.-r le plient', r ihr,5r rj 46 Reflets de la Physique n°55 Ce livre, écrit par un architecte, est centré sur la physique, et même particulièrement la physique des particules et l’astrophysique. Mais rien n’y est décrit comme on l’attendrait : l’anticonformisme est la règle, comme le signale d’emblée l’auteur soucieux ne pas remercier ceux qui l’ont aidé ! L’humour et le jeu avec les idées semblent avoir guidé le choix des mots sélectionnés. Les notions de base et les grandes lois de la physique sont bien évoquées, mais certaines sont évacuées en quelques lignes (Raie spectrale, Spin), d’autres au contraire développées avec un intéressant point de vue historique (Ether). Sous leur aspect divertissant, certaines analyses sont approfondies et pertinentes (Champ de Higgs, Dualité onde-particule, Matière Noire), Cet ouvrage, d’une rare intelligence, développe une réflexion sur les rapports complexes de la science avec la société. L’entreprise de la science est à l’origine une recherche de vérité, mais elle se trouve de plus en plus impliquée dans des questions de pouvoir à travers les applications technologiques qui en découlent et sur lesquelles le public s’interroge. Ce livre est issu des travaux de l’Institut des Hautes Études pour la Science et la Technologie (IHEST), un lieu très vivant de formation et de débat sur la science. L’auteur est l’ancienne directrice de l’IHEST. Son livre s’articule autour de 45 mots (de ADN à Zéro) servant d’entrée à des textes de quelques pages, qui peuvent être des « paroles » (signées par un chercheur réputé), des « dialogues » (entre l’auteur et un spécialiste), ou encore des « billets » où l’auteur inclut ses réflexions personnelles. En délicieuse ouverture (voir ADN), on voit Francis Crick en 1953 expliquer en termes simples et lumineux la double hélice à son fils de douze ans : l’émerveillement transmis à l’enfant est émouvant, le sens de l’esthétique est présent dans le regard du Michèle Leduc, Laboratoire Kastler Brossel, ENS Paris bien loin des approximations superficielles fournies souvent par la vulgarisation. En se laissant attirer par le ton original et plaisant de l’ouvrage, il y a matière à se cultiver en science physique, même sans rien en connaître, et sans se laisser impressionner par la dérision affectée de l’auteur (Physique : c’est une science qui nous demande des efforts de pensée excessifs). Ce livre est un régal par sa drôlerie. Il enchante aussi par son observation malicieuse des comportements dans le milieu de la recherche (Physicien : il apparait tirant la langue et décoiffé sur les t-shirts des adolescents du monde entier, ou encore : le physicien est celui qui parle d’amplitude des dégâts plutôt que d’ampleur…) En résumé, il ne faut pas prendre au pied de la lettre ce qu’écrit l’auteur (Ce dictionnaire ne sert à rien, c’est le cas de 99% des publications !). Bien au contraire, l’ouvrage, par son côté plaisant, est susceptible de capter l’attention des réfractaires à la physique et même de leur donner quelques lueurs sur des phénomènes complexes. En outre il a le grand mérite de renvoyer le physicien à sa propre image, pas toujours flattée, dans le miroir que lui tend l’auteur en connaisseur intime de cette profession. scientifique. Étienne Klein (voir Boson de Higgs), à propos de la physique – ce corpus intraduisible aux concepts inaccessibles – affirme qu’il faut prendre son temps pour expliquer comment les particules ont acquis de la masse, et lutter contre une certaine « crise de la patience » chez les médias et le public. Mathias Girel (voir Controverse) explique que la tendance actuelle est de « déconfiner » les controverses purement scientifiques en leur superposant des questionnements sur les politiques de mise en œuvre de la science : ainsi la question du réchauffement d’origine anthropique est pratiquement tranchée y compris dans l’opinion, alors que celle des décisions à prendre est totalement ouverte. Le changement climatique est aussi évoqué dans Deux degrés : sa limitation à deux degrés à l’orée de 2100 est devenue un symbole emblématique aussi important politiquement que controversé scientifiquement. Jacques Bouveresse (voir Puissance) analyse les forces et les limites de la connaissance scientifique, sachant que l’étendue de ce que nous ne savons pas croît en même temps que le savoir et engendre essentiellement des doutes. Or, pouvons-nous nous passer de certitudes ? Concluons avec la « parole » de Hans Wismann(voir Utopie) : le philosophe s’interroge sur les dynamiques successives que l’utopie a impulsées aux découvertes scientifiques, depuis les sociétés traditionnelles tournées vers un passé mythifié, jusqu’aux sociétés contemporaines caractérisées par la recherche frénétique de « l’innovation pour l’innovation », qui d’ailleurs a pris la place de l’idée de progrès. |