» > Une pratique éminemment non conforme à l’éthique, mais difficile à prouver. Qui plus est, elle peut être parfaitement involontaire, car les idées circulent et heureusement, puisque la recherche se nourrit d’échanges intellectuels. Que de fois pensons-nous avoir trouvé une idée en oubliant que nous l’avons déjà entendue bien avant discutée par un collègue... L’autoplagiat : pas toujours condamnable Il faut de plus mentionner l’autoplagiat, une forme pas toujours bien définie de plagiat, qui fait de plus en plus l’objet de critiques sur les blogs et les réseaux sociaux, mais dont nous avons du mal à saisir la nature. On entend par autoplagiat la pratique qui consiste pour un auteur à reprendre les contenus de ses propres travaux sans les citer en référence, afin de les faire passer pour des résultats nouveaux, trompant ainsi son lecteur en droit de s’attendre à du neuf. L’autoplagiat est de plus en plus redouté par les éditeurs, qui tentent de le détecter et de l’éviter en imposant diverses contraintes auprès de leurs auteurs, comme celle de fournir leurs données ou la liste de leurs articles antérieurs sur le même sujet. La tentation la plus évidente à la base de l’autoplagiat est pour le chercheur d’allonger sa liste de publications. Ainsi observe-t-on souvent le salami slicing, c’est-à-dire la démultiplication du même travail en plusieurs articles (le principe, les prérésultats, les calculs, l’ensemble des résultats, une synthèse), sachant que tous ces articles se recoupent largement les uns les autres. Pourtant cette pratique n’est pas forcément répréhensible, car nous savons bien que nous travaillons tous par incréments successifs à partir d’une même matière. Il peut être légitime de republier un article en lui ajoutant des mesures nouvelles et en reprenant les termes de l’introduction sans les changer, à condition que la nouveauté soit suffisante. L’autoplagiat doit s’évaluer au cas par cas. L’autoplagiat s’apprécie différemment pour la diffusion des résultats de la recherche auprès d’un public plus large que la communauté scientifique concernée. En effet, la répétition est un caractère intrinsèque de l’enseignement. On peut et même on doit se répéter quand on transmet une même connaissance à des publics différents. Ensuite l’obsession du plagiat et surtout de l’autoplagiat ne devrait pas nuire à la 28 Reflets de la Physique n°55 diffusion du savoir auprès du public : quel mal y a t-il à reprendre la teneur d’un article de recherche dans un journal de vulgarisation, à recycler une conférence dans un livre, à en réutiliser des fragments dans une émission de radio ? À cet égard, il me semble personnellement qu’on a fait un mauvais procès à Étienne Klein quand les réseaux sociaux ont dénoncé, avec une malveillance intentionnelle, les autoplagiats dans ses communications publiques (je ne prends pas ici position sur ses plagiats, vrais ou supposés) : dans cette affaire désolante, j’ai tenu au contraire, avec la SFP, à manifester l’estime que je porte de longue date à ce collègue, prix Jean-Perrin 1997, capable de rendre attractive l’histoire de la physique moderne dans toute sa complexité. Sanctions versus formation des chercheurs Beaucoup plus grave pour la science que le plagiat me semble être la falsification des résultats publiés et des données récoltées. Pourtant les codes de conduite internationaux sur l’intégrité en recherche considèrent le plagiat comme une fraude, au même titre que les malversations majeures qui dénaturent le fondement de la production scientifique. En France le plagiat est la seule fraude qui puisse donner lieu à une sanction juridique ; encore faut-il que le tort causé à un tiers soit requalifié en contrefaçon. En général le plagiaire en recherche n’est pourtant pas un criminel : il peut avoir un tempérament très varié, allant du chercheur insouciant et négligent jusqu’au caractériel totalement paranoïaque. Une des raisons principales de la pratique du plagiat, comme celles des autres manquements aux règles de base du métier de chercheur, est la compétition exacerbée pour les postes, les ressources et les publications dans les journaux de prestige [1]. La chasse au plagiat est actuellement la préoccupation principale des universités en matière d’intégrité, en particulier pour les travaux des étudiants et pour les thèses. Certains responsables des études doctorales commencent à faire systématiquement tourner les logiciels de similitude sur les manuscrits avant les soutenances, ce qui a au moins un aspect dissuasif. Le plus important est toutefois de bien mettre en place la promotion des méthodes pour éviter de plagier et d’être plagié. Les doctorants, depuis un décret paru en 2016, seront obligés d’avoir été « exposés » à une formation sur l’intégrité et l’éthique de la recherche avant leur soutenance. Cette question de l’intégrité a été récemment prise à bras de corps en France au niveau ministériel. Toutes les universités et établissements de recherche vont être tenus d’avoir un référent qui recueille les allégations de fraude, chargé de veiller à leur traitement confidentiel mais équitable s’il ne résulte pas de la malveillance. Enfin l’OFIS (Office Français de l’Intégrité en Science) va être installé fin 2017 à l’HCERES (Haut Conseil de l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur). Il n’en reste pas moins que c’est aux chercheurs eux-mêmes, avec ceux qui parlent de la science, de rester vigilants face à la tentation fréquente d’oublier de citer leurs sources d’inspiration. Les plus pessimistes d’entre nous pensent que les comportements inadéquats sont au cœur même de la science d’aujourd’hui et ne peuvent être considérés comme un phénomène périphérique, susceptible d’être résorbé par le contrôle. Il est clair que demain la solution au problème du plagiat et des autres fraudes ne pourra être trouvée que dans une modification assez radicale des pratiques. La pression sur tous les acteurs, en particulier les jeunes, est devenue excessive et le système mondial de la recherche connait un emballement défavorable à la vraie créativité. Mais cette question dépasse largement le cadre des réflexions proposées dans cet article. ❚ Références 1 Voir l’article de M. Leduc etL. Letellier, « Sommes-nous toujours honnêtes dans nos pratiques de recherche ? », dans Reflets de la physique n°37 (2013) 44-45. 7 Voir par exemple : Pour en savoir plus M. Bergadaa, Le plagiat académique, comprendre pour agir, Éditions L’Harmattan (2015). G.J. Guglielmi et G. Koubi (ouvrage collectif), Le plagiat de la recherche scientifique,L.G.D.J., Lextenso éditions (2012). COMETS (Comité d’éthique du CNRS), Avis 2017-34, « Réflexion éthique sur le plagiat dans la recherche scientifique ». Anne Fagot-Largeaud, « Regard rétrospectif sur les débats concernant l’honnêteté du chercheur », L’Archicube n°19 (2015) 147.\ |