nice-matin Le Fait du jour Jeudi 3 décembre 2015 Avec 150 000 ouvertures de comptes en deux ans, nous sommes en passe de devenir la première agence bancaire de France », annonce fièrement Christian Walosic. Il n’est pourtant pas guichetier, mais buraliste à Vence. Derrière son comptoir le représentant des débitants de tabac azuréen, comme nombre de ses collègues, ne se contente plus de vendre des paquets de cigarettes. Il délivre aussi des titres de paiement d’un nouveau genre depuis que Bruxelles, au nom de la libre concurrence, a cassé le monopole de la fameuse « carte bancaire ». C’était en 2009, même si la France a traîné des pieds jusqu’en janvier 2013 pour transposer en droit français cette directive européenne. Depuis il est possible d’acquérir une carte Visa ou Master Card sans avoir à en passer par un établissement financier. Une aubaine pour les exclus du système bancaire, les e-consommateurs, certaines entreprises… Mais, aussi, pour les trafiquants en tout genre et même les auteurs des attentats de Paris ! 5 à 6 millions d’exclus du système bancaire Moyennant dix, quinze ou vingt euros, selon les marques, le précieux sésame de nos sociétés de consommation est donc, désormais, en libre accès dans les bureaux de tabac, les grandes surfaces ou encore sur Internet. Il suffit de fournir un numéro de téléphone mobile pour créditer ce bout de plastique qui vaut de l’or. Au cours des dix derniers jours, sept plaintes ont été déposées au commissariat de Menton. À chaque fois les victimes décrivent le même scénario… « Bonjour, c’est la police… » Au téléphone les escrocs n’hésitent pas à se faire passer pour des enquêteurs. Ils sélectionnent leurs victimes dans l’annuaire téléphonique, en fonction de leur prénom. « Ils ciblent des gens potentiellement âgés », explique Stéphane, un enquêteur de la brigade financière de la Sûreté départementale. Les aigrefins leur expliquent que leur compte bancaire a été piraté, qu’une enquête va être ouverte, mais qu’au préalable il fallait payer de pseudos frais de dossier… Pour d’autres ce sont des frais de douanes qu’il fallait acquitter avant de conclure une vente par Internet. « Des frais qui n’existent pas, souligne le policier niçois. De même qu’aucun service ne vous demandera jamais vos codes confidentiels par téléphone. » Et pourtant nombreux sont ceux qui se sont déjà fait avoir. Des escrocs nommés Napoléon ou Azerty Le point commun entre ces affaires résolues récemment sur la Côte d’Azur, ce sont les cartes prépayées. À chaque fois les escrocs Le nouvel Eldorado des Sœurs jumelles des cartes bancaires, ces nouveaux titres de paiement vendus chez les buralistes ou en grandes surfaces rendent bien des services à leurs utilisateurs… Mais aussi aux criminels invitaient leur victime à en acquérir une, puis ils se faisaient communiquer les codes d’activation pour vider la carte. Rien de plus simple, ces titres de paiement permettent d’effectuer des virements internationaux. Et lorsque les policiers tentent de les tracer, ils remontent souvent à des identités frauduleuses. « Ils s’appellent tous Napoléon Bonaparte ou Azerty », souffle Stéphane. Les obligations relatives à ces cartes ne sont en effet que déclaratives. La plupart du temps il suffit d’un numéro de téléphone mobile pour ouvrir un compte. En passant par des cartes Sim elles aussi prépayées, on peut donc rester parfaitement anonyme. 2 CARTES VISA de l'argent de Carlo Moyennant dix, quinze ou vingt euros, selon les marques, ces cartes prépayées sont, désormais, en libre accès dans les bureaux de tabac, les grandes surfaces ou encore sur Internet. « Aujourd’hui, il est quasiment impossible de vivre sans, souligne Alain Bousquet, président de la fédération national des associations contre les abus bancaires (FNA- CAB). Pour réserver une chambre d’hôtel ou ne serait-ce que faire le plein d’essence en pleine nuit, il vous faut une carte bancaire. Le problème c’est que bon nombre de nos concitoyens en sont exclus, parcequ’ils ont été fichés par leur banque à la suite d’un incident. Cela concerne cinq ou six millions de personnes en France, rappelle cet Antibois. Il faut bien que ces Une aubaine pour les escrocs L’argent sale ou dissimulé dans un paradis fiscal peut être retiré directement au distributeur. gens-là trouvent une solution. La carte prépayée en est une ! » Un anonymat qui profite aux criminels Selon la banque de France, près de 116 000 personnes se sont ainsi vues retirer leur carte de paiement l’an passé. Ils sont la principale cible commerciale des sociétés Tarnscash, Nickel, PCS, Veritas, Ucash… Il existe en fait près d’une trentaine d’opérateurs, preuve de la vitalité de ce nouveau marché. Du coup, pour permettre aux usagers de s’y retrouver, Fabienne Iselin aeu l’idée de créer un comparateur en ligne. « J’ai 25 000 visiteurs uniques par mois », annonce-t-elle fièrement. Qui sont ces utilisateurs de cartes prépayées ? « Tous ceux qui sont interdits bancaires. Ceux qui, comme moi, ne veulent plus utiliser leur carte de crédit sur Internet de peur de se faire pirater. Des entreprises, aussi, qui les mettent à la disposition de leurs salariés en déplacement pour couvrir leurs frais. Et puis il y a ceux qui veulent envoyer de l’argent à l’étranger… » Dans la grande délinquance, ces nouveaux titres de paiement, qui sont parfois vendus par paires, sont même utilisés pour transférer de l’argent sale d’un pays à un autre. Dans le cas de la prostitution par exemple : « Les filles déposent sur leur carte leur recette de la nuit au premier bureau de tabac venu. Et le mac resté tranquillement en Roumanie ou en Bulgarie peut retirer l’argent au premier distributeur venu. La transaction est faite au nom de la banque, pas au sien », explique un autre enquêteur azuréen qui est tombé, au cours d’une affaire, sur un gros bonnet de l’évasion fiscale qui en avait quatre dans sa poche. « Les siennes lui avaient été fournies directement par son banquier Suisse. Elles étaient créditées à distance depuis ses comptes offshore. Comme ça, il pouvait retirer tranquillement l’argent qu’il avait dissimulé au fisc français, n’importe où dans le monde, y compris dans l’Hexagone. Plus besoin du coup d’aller en Suisse pour récupérer des liquidités au risque de se faire pincer par la douane. » Pour ce spécialiste de l’économie souterraine « si on avait voulu faciliter le blanchiment d’argent, on n’aurait pas trouvé mieux ! » Ces cartes prépayées ont en quelque sorte importé en France le secret bancaire si cher aux paradis fiscaux. Hormis la possibilité d’être à découvert, ces cartes prépayées offrent en effet les mêmes services que leurs sœurs jumelles adossées à un compte en banque. « On peut payer en magasin, retirer au distributeur et même effectuer des virements », explique Fabienne Iselin. « En toute discrétion », précisent en outre sur leur emballage la plupart des opérateurs. Car au moment de l’activation de votre carte de paiement par SMS ou sur Internet, il ne vous est rien demandé de plus qu’un numéro de téléphone mobile. Elles sont donc anonymes. Du moins en dessous d’un certain volume de transactions. « Au-delà de 1000 euros de débit par an il faut fournir une copie de sa pièce d’identité et un justificatif de domicile », souligne Fabienne Iselin qui reconnaît avoir dû à plusieurs reprises faire le gendarme sur son forum pour exclure « les fraudeurs » qui expliquaient comment contourner ces contraintes légales. « Le plus simple est encore de multiplier les cartes prépayées sans jamais dépasser les seuils autorisés », souffle Stéphane, un enquêteur de la brigade financière. Les trafiquants de tout poil l’ont vite compris. Les terroristes aussi. L’enquête sur les attaques du vendredi 13 à Paris a d’ailleurs démontré que de telles cartes prépayées avaient été utilisées par les auteurs des attentats pour louer des chambres d’hôtel. Bercy veut les réglementer « Si des terroristes parviennent à commettre des attentats, c’est parce qu’ils peuvent se procurer des ressources financières pour ce faire, en France et à l’étranger », soulignait en début de semaine le ministre des Finances Michel Sapin. Et les cartes prépayées constituent l’un de ces moyens. Des cartes suisses quasi illimitées « Elles sont utilisées dans l’économie souterraine, dans la criminalité organisée. C’est un outil qui remplace le cash, très discret, pas tracé », déplorait pour sa part Bruno Dalles, le patron de Tracfin. Voilà pourquoi Bercy veut davantage contrôler ce moyen de paiement qui, en dessous de 1000 € de débit par an et 2500 € de crédit, est quasi-anonyme. Il s’agit d’abaisser encore ces seuils. C’était prévu dans le cadre d’une directive européenne. Mais pas avant 2017. Il s’agit donc d’accélérer le processus. Reste à savoir si la Suisse y sera soumise. Car un petit tour sur les sites Internet de banques helvétiques permet de mesurer l’enjeu : on y vente allègrement des cartes prépayées, baptisées offshore ou anonymous permettant de retirer jusqu’à 10 000 € par jour sur des distributeurs français ! |