10 CULTURE MERCREDI 11/3/2020 metrotime.be REVIEWS Hope Gap Ph. Origin Pictures Après 29 ans de mariage, Edward décide de quitter sa femme Grace. Pas de chance pour leur fils Jamie, l’annonce tombe justement quand il rentre au bercail. Avec ses somptueux décors de falaises, cette adaptation d’une pièce de théâtre nous donne un goût de huis-clos en bord de mer, puisant toute sa force dans de longs dialogues bien aiguisés. De quoi donner la matière nécessaire aux acteurs pour explorer la chute de domino psychologique qui les unit. Dans la peau d’un mari croyant que sa bienveillance suffit à expliquer sa passivité, Bill Nighy (le rockeur sexagénaire de ‘Love Actually’) prouve une fois de plus qu’il est charmant en toutes circonstances. Mais le duo mère-fils attire toute notre attention. Annette Bening rugit avec la même intelligence que dans ‘American Beauty’, pendant que Josh O’Connor (le Prince Charles dans la série ‘The Crown’) réalise doucement qu’il n’a jamais tué ses parents. Un film un peu verbeux mais très juste, à ne jamais voir en famille ! (si) L’histoire tourmentée de l’Agneau mystique ●●●○○ Peintre du duc de Bourgogne Philippe le Bon (1396-1467) et artiste au service de la cour et des riches habitants de villes comme Bruges et Gand, Jan van Eyck était le meilleur peintre de son époque. Parmi ses chefs d’œuvre, l’Agneau mystique est probablement le plus connu. C’est aussi une réalisation qui a marqué l’histoire de l’art pour les péripéties qu’elle a connues. Sauvée des iconoclastes au 16 e siècle, des conflits qui ont suivi la révolution française au 18e, mis en danger lors de la Première Guerre mondiale, pas loin de succomber dans la folie destructrice du 3 e Reich en 1945… Comme si cela ne suffisait pas, l’Agneau Mystique est désormais au cœur d’une énigme, puisqu’un de ses panneaux a été volé en 1934, et jamais retrouvé depuis. Alors que l’année van Eyck bat son plein (avec notamment une grande exposition à Gand), Harry de Paepe et Jan Van der Veken reviennent pour le grand public sur ces événements qui ont fait l’histoire du tableau. Intriguant et passionnant ! (cg) « L’Agneau mystique : admiré et volé », de Harry de Paepe et Jan Van der Veken, éditions Casterman, 112 pages, 20 € ●●●○○ Woman Queen & Slim Ph. Cherry Pickers Ph. WW Entertainment Mondialement connu depuis 1999 avec ses photos de la Terre vue du ciel, le photoreporter et écologiste YannArthus-Bertrand est une personnalité controversée : loué pourson travail artistique et son engagement écologique, il est critiqué pour ses liens avec les grands groupes de l’industrie capitaliste. Coréalisé avec Anastasia Mikova, son nouveau documentaire ‘Woman’reprend le principe des précédents (‘Home’et ‘Human’) : des témoignages face caméra venus de toute la planète, jusqu’aux coins les plus reculés. Cette fois, les femmes sont au cœur du sujet. Les histoires intimes se mêlent, joyeuses ou douloureuses, souvent bouleversantes. Les sponsors clinquants du film (BNP, le géant du luxe LVMH) lui confèrent des moyens inédits en termes de diversité et de qualité.Pourcertains,ils en fixent aussi les limites éthiques. Cela étant dit, ces femmes aux mille visages différents méritent d’être vues et écoutées, et ‘Woman’est une occasion unique pour le grand public de les rencontrer. (em) La chute du Donald Trump du neuvième art ●●●○○ Avec des sagas comme « Blast », « Le Combat ordinaire » ou encore « Le Retour à la terre », Manu Larcenet s’est imposé comme un auteur et dessinateur majeur de la bande dessinée francobelge. Sa « Thérapie de groupe » risque néanmoins de déstabiliser son lectorat. Il se met en scène dans la peau de Jean-Eudes de Cageot-Goujon, une star internationale de la BD, surnommée le Donald Trump du neuvième art, qui n’a plus d’inspiration. À travers son personnage, il parcourt ainsi l’univers de la création au fil de l’Histoire. L’album part rapidement dans tous les sens. Le lecteur peut ainsi se retrouver plongé en 2047 et la page suivante, avec des hommes préhistoriques dans une caverne. Si le scénario est original mais très décousu, graphiquement, « Thérapie de groupe » fourmille de bonnes idées. Les styles ne cessent de changer et chaque page, ou reste, constitue une surprise. Un OVNI déstabilisant mais intéressant. (tw) « Thérapie de groupe,t.1 : L’étoile qui danse », de Manu Larcenet, éditions Dargaud, 56 pages, 15 € ●●●○○ MOVIES À la base, c’était juste un rendez-vous Tinder. Mais sur la route, la voiture se fait arrêter : simple affaire de clignotant mal réglé. Mais le policier est blanc, eux sont noirs, et la situation va déraper… On pense forcément à ‘Bonnie and Clyde’ou ‘True Romance’devant ce premier film de Melina Matsoukas, qui a fait ses armes avec les clips de Lady Gaga ou Beyoncé. Mais si ‘Queen & Slim’n’échappe pas aux poncifs du film de cavale amoureuse, il renouvelle le genre avec brio grâce à sa dimension politique sagace. De ‘Loving’à ‘Selma’, on n’avait jamais vu les tensions raciales des USA abordées sous cet angle-là. Rajoutez l’alchimie fiévreuse entre Jodie Turner-Smith et Daniel Kaluuya (‘Get Out’), les seconds rôles qui font mouche (Flea des Red Hot, Indya Moore de la série ‘Pose’) et la mise en images ambitieuse et soignée, et vous obtenez un des films les plus forts de l’année. Aux Oscars, le nom de Matsoukas figurait sur la robe brodée de Natalie Portman dédiée aux réalisatrices snobées. (em) Seules à Berlin BD ●●●●○ La bande dessinée permet parfois de rendre vivantes des pièces historiques. Nicolas Juncker y parvient parfaitement dans cet album qui raconte la prise de Berlin par les Russes en 1945. On y suit Ingrid l’Allemande, qui va cohabiter pendant quelques jours avec Evgeniya l’interprète russe. La rencontre est fictive, mais ces deux destins sont bien réels. La victoire sur le Troisième Reich s’accompagne alors de son lot d’horreurs. L’auteur nous plonge dans les carnets de souvenirs de ces deux femmes plongées dans l’enfer de la guerre. Les extraits du journal intime d’Ingrid, particulièrement poignants, racontent les viols à répétition subis par les femmes du pays vaincu. On y découvre aussi avec horreur comment certaines « se cherchaient un gradé », histoire de « n’être la propriété que d’un seul » plutôt que de subir les agressions à répétition des soldats. Un récit effrayant. (cg) « Seules à Berlin », de Nicolas Juncker, éditions Casterman, 200 pages, 25 € ●●●○○ |