INTERVIEW REBECCA VOIGHT Journaliste américaine, Rebecca Voight est basée à Paris depuis 1981. Après avoir collaboré à des journaux comme le « Women’s Wear Daily », travaillé au bureau de tendance Promostyl, elle fut rédactrice en chef magazine de « Dutch » puis de « Zoo ». Réputée pour son enthousiasme teinté de malice, son insatiable curiosité et la justesse de son regard, Rebecca Voight poursuit une carrière en free-lance auprès de tires comme « Interview », « Man About Town » et le site Internet Style File. Quels furent vos débuts dans la presse de mode ? Je vivais sur la côte ouest des États-Unis avec ma famille et j’ai gagné un concours organisé par le journal Mademoiselle, dont la récompense était un job à New York sur la préparation du numéro d’août – le plus important avant qu’il ne devienne le « September Issue ». Super ! Je n’avais jamais fait d’école de journalisme… Et d’où vous vient cette passion ? Mon père était journaliste de cinéma ; il travaillait pour les studios. Il nous racontait les trucs qu’il avait écrits pour lancer la carrière de telle ou telle actrice. Il m’a transmis l’idée de communiquer à travers l’écriture. Aussi, ma mère et ma sœur étaient impliquées dans la mode et faisaient une petite collection. Quelles furent vos références en termes de presse ? Avant même de se lancer dans la mode, ma mère a toujours été abonnée au Women’s Wear Daily. Si ce journal était dédié aux professionnels du textile, il faisait aussi la part belle aux chroniques mondaines, et je dévorais les articles d’André Leon Talley sur les fêtes parisiennes. À cette époque, KarlLagerfeld et Yves Saint Laurent s’amusaient beaucoup au 7 [un club parisien,ndlr]. Je trouvais ça génial ! C’était un rêve : une Dorothée découvrant le pays d’Oz. Vous avez commencé par fantasmer ce métier. Plein de gens s’intéressent aujourd’hui aux « dessous » de la mode à travers le Net et envisagent avec fascination ce métier comme une forme de mode de vie. C’était moins évident dans les années 70. En un sens, ma mère était assez avant-gardiste, et elle m’a transmis sa passion pour la mode. Et comment percevez-vous les magazines actuels ? Répétitifs… En fait, depuis Dutch [1994,ndlr], rien ne me surprend vraiment. Matthias Vriens et Sandor Lubbe – alors à la tête de ce journal – avaient mis au point une formule incroyable : laisser les photographes libres de faire ce qu’ils voulaient. Ils travaillaient à l’époque avec les plus grands sans les contraintes commerciales de Vogue ou du Harper’s Bazaar. Il ne s’agissait plus de construire des sujets mode mais de raconter des histoires. On ne trouvait pas dans Dutch de filles sautant en l’air comme dans les magazines glossy, mais des séries « concept » : les images étaient nourries, pensées, conceptualisées, et les séries relevaient d’une approche quasi cinématographique. La magazine n°2 46 mise en page très neutre laissait parler les clichés. Nul besoin de mise en page arty pour maquiller des photos faiblardes… Dutch a également questionné la construction même des magazines. Il régnait une grande décontraction dans la mise en page ; au lieu de traditionnelles séries sur huit pages, les sujets pouvaient s’étaler sur dix-huit ! On changeait de papier au fil des pages, on proposait plusieurs couvertures. Si nombre de journaux ont depuis repris ces techniques, à l’époque elles étaient inédites. La fin des années 90 fut une période florissante pour la presse indépendante. Beaucoup de journaux se sont lancés, mais peu se révélèrent d’un intérêt réel. Hormis Dutch, il y avait Self Service et Purple, qui proposaient quelques images intéressantes. Mais les séries ne tenaient pas sur la longueur, car Olivier Zahm et Ezra Petronio ne collaboraient pas encore avec de grands photographes. Purple a fait appel à des personnages assez arty comme Mark Borthwick. On y trouvait alors des prises de vue en noir et blanc un peu rêches, très peu de textes… Le magazine était animé par des gens qui venaient du milieu de l’art mais qui très vite ont compris l’intérêt des renvois d’ascenseur aux annonceurs sous couvert de poses trash. C’était malin ! Ça flattait les marques de luxe d’avoir l’air faussement transgressives. Dans un autre genre, Self Service fut – et demeure – une sorte de book permettant à Ezra Petronio de mettre en avant son travail et son agence de pub Work in Progress. Un jeu de passe-passe… Celui qui a lancé ce modèle de presse est Terry Jones, avec iD. Ancien DA du Vogue anglais, il œuvrait en indépendant pour proposer ce qu’il appelait à l’époque un « art shop », pas une vraie agence de pub mais un studio capable répondre aux besoins des marques pour leurs campagnes publicitaires. Il ne faut pas oublier que jusque dans les années 70-80, beaucoup de publicités de mode se limitaient à des photos de défilé agrémentées du logo et de l’adresse de la boutique. Les créateurs émergents avaient besoin de développer de vraies campagnes, mais les agences de pub traditionnelles ne parlaient pas leur langage, Terry Jones a su le faire et iD lui a servi de vitrine. En cela, il fut très avant-gardiste. |