AFTER WORKdigression Dans toutes les cultures et à toutes les époques, la santé a été considérée comme le bien le plus précieux, c’est pourquoi dans presque toutes les langues elle est souhaitée au moment de trinquer avec quelqu’un, en ajoutant parfois « à la vie » ou « avec prospérité ». De la même façon au moment des vœux de nouvelle année, elle vient en tête de tous les souhaits… Mais cette santé, « état de complet bien être physique, mental et social » selon la définition de l’Organisme Mondial de la Santé, est devenue depuis quelques années l’objet de toutes les préoccupations. En effet elle n’est plus seulement une des données heureuses ou malheureuses de notre vie, elle est totalement dépendante de notre comportement, donc sous notre responsabilité ! On aurait la santé que l’on mérite, et inversement on serait « puni » de nos déviances ou de nos erreurs … Dans notre société la bonne santé est devenue un impératif moral. Les universités passent des contrats de bien-être avec A votre santé ! leurs étudiants, les entreprises s’équipent de salles de sport, encouragent les techniques de méditation, la société de consommation s’engage à nous rendre heureux en pourvoyant à nos moindres besoins, les centres de bien-être, de yoga, de relaxation envahissent les villes, et les livres de développement personnel pour retrouver l’estime de soi fleurissent sur les rayonnages des librairies. Impossible d’échapper à cette logique où l’individu en mauvaise santé devient vite une menace pour la société. Honte à celui qui ne prend pas soin de son corps ! D’où la mode des applications qui nous aident à nous « contrôler », à nous « mesurer » : par jour nous devons faire plus de 10 000 pas, manger 5 fruits ou légumes, boire 1,5 litres d’eau, enfin avoir un IMC (indice de masse corporelle) situé entre 18,5 et 24,9 ! Comme le soulignait avec humour un dessin de caricaturiste qui montrait un homme couché le soir dans son lit calculant intérieurement « je n’ai mangé que 3 fruits et légumes ½ ! … est-ce que je me relève pour ajouter 1 et ½ ? » Occupé à surveiller sa vie, ses habitudes, l’individu intègre l’idée qu’il est responsable de son propre bonheur et inversement de son propre mal-être social, s’il ne dompte pas son corps, s’il n’affiche pas sa détermination à être en bonne santé. Cette obsession finit par avoir l’effet inverse de celui recherché. Comment ne pas rendre coupable celui, celle qui ne remplit pas tous les critères de la « normalité » ? Qui dépasse l’IMC ? Qui va s’astreindre à des exercices ou des régimes épuisants … Et qui de plus se sentira responsable de ses problèmes, ce qui est pire que tout. Autre inconvénient : focalisé sur soi-même, on devient incapable de se préoccuper du monde qui nous entoure. Incapable de donner un autre sens à sa vie que d’être en parfaite bonne santé, ce qui implique aussi de ne pas vieillir, toutes choses impossibles… Il serait peut être temps d’oublier un peu tous ces commandements hygiénistes, d’accepter davantage nos imperfections et d’accueillir pleinement la vie comme elle est… 114/JUIN 2019 www.ewag.fr/Madinmag/@ewagmedia |