CUL TURE R O MA N Parcours initiatique ELLE A TOUJOURS PUISÉ DES FORCES dans la communion avec le ciel et les étoiles, il n’est donc pas surprenant que sa vie soit aussi scintillante. L’artiste amérindienne Joy Harjo, qui vient d’être nommée «poétesse lauréate des Etats-Unis» 2019- 2021 – onction honorifque pour la première ois attribuée à une personnalité native –, a énormément vécu, créé, milité, participé à la renaissance des cultures indiennes qui a débuté dans les années 1970, et il est tout à ait émouvant qu’elle revienne sur son enance et sa jeunesse dans un livre aussi bre que sincère, qui en dit beaucoup avec peu, ne s’attarde jamais, d’une écriture à la beauté lunaire, dont la sobriété cisèle des envolées poétiques qui résonnent longtemps dans l’esprit du lecteur. «Je suis née ragile, emme et indienne sur des terres qui nous ont été volées», écrit-elle. Même toute petite, la conscience de l’histoire brisée de son peuple la hante, ses rêves – très importants dans son existence et qui souvent lui montrent le chemin – et ses pensées la ramènent à ses ancêtres, ches guerriers valeureux mais qui urent vaincus et déportés en Oklahoma dans les années 1830. C’était hier et le ardeau de l’histoire pèse encore plusieurs générations après. Joy Harjo évoque notamment la terrible bataille de Horseshoe Bend en 1814 qui mit un terme à la rébellion de la nation Creek, dont est issu son père (sa mère était métisse cherokee). Il y a aussi une grand-mère qui peignait et dont Joy Harjo cherchera à retrouver l’héritage : la peinture sera première dans son parcours d’artiste et de jeune emme en danger. Car après une enance heureuse, où elle apprend l’importance de la musique et du chant, tout vole en éclats avec le divorce de ses parents. Un beau-père maltraitant, harcelant, la pousse au désespoir. C’est l’Institute o American Indian Arts, à Santa Fe, où elle devient pensionnaire, qui lui sert de reuge et où elle commence à dessiner et à aire du théâtre. Mais histoires d’amour et grossesses s’enchaînent, la menant aux portes de la misère, aux côtés d’hommes talentueux mais raptés par l’alcool, malédiction rappant si souvent les Amérindiens. Sourant de crises de panique eroyables pendant des années, Harjo réussit à s’en sortir grâce à une rencontre capitale : la poésie. Celle qui la relie aux cultures indiennes, qui est à la ois verbe, chant, danse, qui mène au sacré, qui soigne et apaise. «Je désirais que la langue de mes ancêtres, complexe et métaphorique, passe dans ma langue et dans ma vie.» Joy Harjo a publié quantité de recueils de poésie, a trois enants, des petits-enants, joue du saxophone, est une activiste éministe. Quand on lit ce livre, on se dit que la culture occidentale a perdu ce monde magique, peuplé d’esprits, de musique et de sensualité physique, et qui est peut-être, fnalement, le plus important à vivre. Crazy Brave, Joy Harjo, éd. Globe, 168 p., 19 € . La poétesse amérindienne Joy Harjo raconte dans un livre splendide comment la poésie l’a sauvée d’une jeunesse à haut risque. Par Isabelle Potel 7 2/A I R F R A N CE M A DA M E R i t e o f p a s s a g e IN A SPLENDID MEMOIR, T HE NAT IV E A MERICA N POET J OY HA RJ O RECOUNTS HOW POET RY SAV ED HER FROM DESPERAT ION. She has always found strength in communing with the heavens. Joy Harjo, the current poet laureate of the United States (and therst Native American to be so honored), has led a rich and fascinating life, recounted in this moving memoir. In Crazy Brave, she says much in few words, her crystalline prose punctuated with poetic ourishes that resonate in the reader’s mind. «I was born puny andemale and Indian in lands that were stolen,» she writes. Even as a small child, the awareness o her people’s tragic history haunted her waking hours and her dreams—an important element of her existence. She mentions the Battle of Horseshoe Bend in 1814, which quashed theuprising o the Creek Nation, her ancestors, resulting in their removal to the territory that would become Oklahoma, where she grewup. Ater a happy childhood, her lie ellapart when her parents divorced. Mistreated by her stepfather, she sought refuge at the Institute of American Indian Arts in Santa Fe, where she explored theater and drawing. But then a string of unhappy love afairs brought her to the brink o despair. Ater sufering or years rom paralyzing panic attacks, Harjo found deliverance through poetry—an art ormwith links to Native American culture, verbal and musical, healing and spiritual. «I wanted the intricate and metaphorical language of my ancestors to pass through to my language, my life,» she writes. Today she has published numerous poetry collec- tions, plays the saxophone, has three children plus grandchildren and is an active feminist. Reading Crazy Brave, it becomes evident that Western culture has lost her people’s magical world, a world o visions, music and sensory experience that, ulti mately, is perhaps the most important part of life. PHOTO PRESSE |