CUL TURE P O RT R A IT «Si on savait tout, on n’écrirait pas» Un roman plein d’esprit où l’Irlandais Joseph O’Connor réunit Dracula, l’amour du théâtre et le Londres victorien. Rencontre. IL RESSEMBLE à sa prose qui est brillante, oisonnante, drôle, animée par un appétit de vie et de littérature conondues. Rien d’hautain chez cet auteur pourtant recouvert de prix littéraires (dont The Irish Pen Award, en 2012), qui ne s’arrête jamais de créer (romans, nouvelles, pièces, radio…), toujours avec aconde et succès. «A 15 ans, je lis L’Attrap e-cœurs de Salinger et je décide qu’écrire sera ma vie. Après des études de lettres à Dublin, Oxord puis Londres, j’ai attendu dix ans que le téléphone sonne, j’étais journaliste et pauvre, mais depuis 1990 (et son premier roman Cowboys and Indians,ndlr) ça ne s’arrête plus et je dis toujours oui. Ni gol ni pub, ça me laisse du temps ! » Il a tenu un temps un «diary» radiophonique de cinq minutes par jour sur une radio irlandaise : «Je n’avais jamais été aussi acile à vivre selon ma emme, tous les hommes devraient en aire autant ! » Il a également composé des «spoken-word pieces» avec des musiciens, collaboré au spectacle de danse «Heartbeat o Home» qui a tourné jusqu’en Chine, et beaucoup enseigné. Amoureux du spectacle vivant et des artistes, souvent au cœur de ses fctions (rock, théâtre…) –«Je cherche à retrouver l’excitabilité de la scène dans mes livres» –, il revient, dans ce 18 roman, e avec l’histoire singulière de l’écrivain irlandais Bram Stoker – l’inventeur de Dracula, bien loin de soupçonner la notoriété qui attendait sa créature –, devenu administrateur du Lyceum Theatre à partir de 1876, au service de l’acteur aussi génial que tyrannique Henry Irving et de la subtile Ellen Terry, la Sarah Bernhardt anglaise, dans un Londres victorien hanté par Jack l’Eventreur et le procès d’Oscar Wilde pour homosexualité. «Il y avait beaucoup de silences dans les archives sur Bram, ce sont eux qui m’ont attiré bien sûr. Si on savait tout, on n’écrirait pas… J’ai mis beaucoup de moi-même dans ce trio.» Soit l’aventure tumultueuse d’un théâtre pris en étau entre avanies fnancières et rêves de grandeur, conits d’ego et proliération de décors magnifcents, où se mêlent l’amitié, l’amour, la création, toutes choses vampiriques : «Dès la sortie de Dracula, les amis et les critiques se sont amusés à dire que Stoker avait trouvé l’inspiration dans sa relation intense et toxique avec Irving… Ce qui m’intéressait aussi dans cette époque, c’est que la masculinité était très diérente, les hommes s’abandonnaient à l’émotion, ils auraient ouvert des yeux ronds si on leur avait dit qu’un homme ne doit pas pleurer ! » Après dix ans à Londres, O’Connor a passé quelques années à New York et vit depuis quinze ans près de Dublin : «J’aime mon pays qui est chaque jour plus progressiste – notre Premier ministre (Leo Varadkar,nd lr) est d’origine indienne et gay – alors que beaucoup d’autres Etats en Europe se erment. Et surtout, en Irlande, la littérature est une passion naturelle, quotidienne, très populaire, le ministre des Finances (Paschal Donohoe,ndlr) écrit des critiques de livres dans The Irish Times, c’est dire ! » Le Bal des ombres, Joseph O’Connor, éd. Rivages, 463 p., 23 € . Par Isabelle Potel 7 0/A I R F R A N CE M A DA M E F i l l i n g i n t h e g a p s IRISH NOV ELIST J OSEPH O’CONNOR FINDS INSPIRAT ION IN T HE LIFE OF BRA M STOKER, T HE T HEAT ER A ND V ICTORIA N LONDON. His personality is like his prose : exuberant, witty, and powered by an evident fascination with life and literature. The winner of multiple honors, including the Irish PEN Award, Joseph O’Connor writes untiringly, alternating novels with short stories, play s and radio scripts. «When I was 15, I read Salinger’s Catcher in the Rye and decided that writing would be my life,» he recounts. «After studying in Dublin, Oxford and London, or ten years I worked as a journal- ist, waiting for the phone to ring. But since 1989, ater my frst novel, Cowboys and Indians, it hasn’t stopped, and I always say yes.» Shadowplay, his 18th novel, is based on the life of the Irish writer Bram Stoker, who originated the character of Dracula. In the late 19th century, long before his vampire had become an archetype, Stoker was a theater manager in London at the time of Jack the Ripper and the Oscar Wilde trial. «There were a lot of gaps in Stoker’s archives,» O’Connor explains, «which I found intriguing. If we knew everything, there’d be no reason to write a novel.» The result is a tumultuous adventure revolving around Stoker’s relationships with the actors Henry Irving (thought to be the inspiration for Dracula) and Ellen Terry. «I put a lot of myself into that trio,» the author adds. Today O’Connor lives near Dublin. «I love my country, which is becoming more progressive every day,» he says. «In Ireland literature is a natural, everyday passion. Even the fnance minister reviews books for The Irish Times…» PRESSE PHOTOS |