UNE PLAQUE DE PIERRE MÉTALLIQUE scintille au large de Galway. Tranchante, gris anthracite ; Inis Meáin se découpe sous un soleil cinglant en plein océan Atlantique. Notre avion de six places s’apprête à nous déposer là, sur cette dalle érodée par un vent incessant. Pendant quelques jours, notre horizon sera minéral. Mais à y regarder de plus près derrière le hublot, je distingue du vert. Un patchwork de verdure délimité par un entrelacs de murets de pierres. Inlassablement, au fl du temps, les habitants d’Inis Meáin ont extrait un à un du sol de leur île des éclats de cette roche calcaire singulière pour permettre à l’herbe de pousser. Ils ont ainsi pu créer de micro-parcelles agricoles. Inishmaan, ou Inis Meáin en gaélique, est une terre celte âpre qui ne s’ore pas, pour laquelle il aut se battre. Une terre qui se travaille au corps et avec laquelle on ait corps. Sur ce caillou de 4 kilomètres de long et 183 âmes, avec en tout et pour tout un pub, un post ofce et une épicerie, le regard a deux options : l’horizon vaste comme le ciel ou infni comme la mer. La mer dont on nous dit que si elle nous prend, ce sera pour nous emporter jusqu’en Amérique… Parole de marin. Timmy, à bord de son bateau de pêche –qui aux heures creuses devient embarcation de plaisance – longe les alaises aûtées comme des couperets de Inis Mór, l’île sœur ; et nous met en garde contre toute dérive ou naurage. Car après l’archipel des îles d’Aran, il n’y a plus rien. La trilogie Inis Mór, Inis Meáin (l’île du milieu) et Inis Oírr représente le point le plus à l’ouest de l’Europe. Une extrémité pour un territoire de l’extrême. On peine à croire que des humains aient pu s’installer dans une telle hostilité : un plateau désertique composé de roches carbonières calcaires. Cette curiosité géologique est le prolongement des Burren (le pays pierreux) sur la côte, près de Galway. Dans ce décor insulaire quasi lunaire, les moutons ont de la résistance et tissent l’autre histoire couleur locale : les ameux pulls d’Aran. A l’abri des murets battus par les embruns, l’animal arpente de micro-pâtures. Avec sa laine, on tricote depuis toujours des pulls que portent les marins. Une seconde peau qui protège de tout. Car il y a un véritable lexique de motis à la portée symbolique. Et chaque épouse avait son point. On dit que c’est grâce à cette signature qu’on reconnaissait leur propriétaire quand la mer venait à recracher sur le rivage les nauragés… Le soir, ourbus par les kilomètres à vélo avalés sur les petites routes d’Inis Mór, la peau tannée par l’air marin et le soleil glacé, nous enourchons à nouveau nos bicyclettes. Direction le pub. Deux coups de pédales et le déluge s’abat sur nous. Aveuglés par la pluie, nous » > 15 6/A I R F R A N CE M A DA M E |